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— Il est souffrant, depuis six mois… depuis… depuis… s’écria le gorille, dont l’agitation redoubla.

Un éclair de joie brilla dans ses yeux.

— Écoutez-moi, petite fleur. Écoutez-moi et croyez-moi ! Peu importe le corps de Roland… Je suis son âme !

De nouveau, Violette tressaillit : l’âme de Roland ? l’âme du fou l’âme de celui qui n’avait plus d’âme ? Elle poussa un faible cri :

— Est-ce possible ?

En même temps, elle fit un mouvement pour se retourner.

— Ne bougez pas !… cria le gorille, avec une impression d’angoisse. Restez comme vous êtes, sans me regarder. Écoutez-moi seulement… Oui, cela est possible ! L’âme de Roland est en moi… Je le sens… Maintenant, je ne me crois plus fou. J’admets le miracle. Qu’importe mon apparence ? Mon souvenir est intact ; mon passé m’appartient, puisqu’il vit toujours en moi, jusqu’à… jusqu’à… Oh ! Violette ! s’écria-l-il avec un redoublement d’ardeur, il faudra bien croire !

— Comment croire ? gémit la jeune fille.

— Parce que beaucoup de mon passé est le vôtre. Ce qui vit dans ma mémoire vit aussi dans la vôtre. Si j’étais ce que je parais être, saurais-je ce que je sais ? D’où me serait venue votre image ? Comment vous aurais-je reconnue ? Pourquoi ce fol élan, rompant brusquement la chaîne acceptée pour l’amour de vous m’aurait-il précipité ici ? Oubliez la voix, Violette ! C’est, malgré tout, Roland Missandier qui parle et qui va dire ce que lui seul peut dire et que vous reconnaîtrez !

Subjuguée, emportée dans le tourbillon de cette conviction ardente, Violette s’abandonnait, les yeux fermés. Comme le voulait le gorille, elle oubliait la voix, elle s’efforçait de n’entendre que la pensée de Roland, qui allait se révéler.

(À suivre)