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sombrent dans le noir, dans le néant. Je n’ai plus conscience que d’une chose : en m’endormant, j’étais encore un homme.

« Il m’était jadis arrivé, après de grandes fatigues physiques, de tomber dans un de ces sommeils profonds qui ressemblent à la mort. Entre le moment où on s’endort et celui où on commence à retrouver la perception confuse de la vie, il n’y a rien, pas un rêve, pas une pensée ; c’est le vide, un vide sans dimensions, surtout sans épaisseur, de telle sorte qu’on ne semble point séparé, même par une seconde, de ce qu’on a fait avant de s’endormir ; on n’a pas la notion du temps écoulé et on serait incapable de l’apprécier si votre entourage ne précisait le nombre d’heures qu’a duré cet anéantissement de l’être.

« Il paraît qu’il en est de même pendant certaines maladies. Elles font un trou dans notre vie, un trou impossible à combler et qui sépare pour toujours notre présent de notre passé. Le plus souvent, on l’oublie et les deux parties semblent rejoindre dans notre mémoire, sans tenir compte de cet espace intermédiaire qui disparaît totalement.

« Pareille chose m’est arrivée. Mais, bien que tous mes efforts aient été inutiles pour en dissiper les ombres, je ne puis oublier cette lacune. Le souvenir s’en impose à moi parce que, dans son intervalle, « j’ai changé de forme ».

« À quel moment suis-je mort à ma vie ? Quand ai-je cessé d’être moi, physiquement, en perdant mon apparence ? Combien d’heures, de jours, de semaines se sont-ils écoulés entre l’instant où j’ai perdu la conscience de l’existence et celui où des embryons de pensées, des éclairs de vie ont recommencé en mon être nouveau ? Je l’ignore.