Page:Magre - Isabelle la grande.djvu/527

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plus souples encore, se composaient de lames d’acier placées en largeur et se recouvrant en partie. Au-dessous de la cuirasse, apparaissait la fine chemise de mailles, tandis que les jambes, les genoux et les pieds étaient défendus par les jambières, les genouillères, les grègues et les escarpes.

Aux jours de fête, aux entrées solennelles dans les villes, les chevaliers portaient sur le harnais une soubrecote d’étoffe magnifique, parfois brodée de pierres précieuses, et que rappelait, par sa couleur et ses ornements, la housse aux longs plis qui couvrait le cheval. D’immenses panaches de plumes colorées, placés au sommet du casque du chevalier, comme sur le frontal de sa monture, donnaient au groupe un caractère de magnificence et de richesse orgueilleuse digne de ces temps héroïques. Les épées converties en estoc avec leurquillon aux bras abaissés imitaient les poignées des armes de Damas. Les lames les rappelaient aussi par leur excellence. Tolède et Saragosse étaient renommées entre toutes pour la valeur d’une trempe que l’on attribuait beaucoup moins à la pureté de l’acier qu’à la qualité de l’eau employée à la fabrication. À la fin du xve siècle, Saragosse l’emportait sans doute sur Tolède, car, parmi les riches présents offerts à Henri VIII lors de son mariage avec Catherine d’Aragon, l’inventaire signale plusieurs dagues portant la marque de l’ours et du petit chien, propriété d’un armurier aragonais célèbre entre tous.

Le siècle d’or s’annonçait. Pareil au souverain dispensateur de la lumière, l’astre qui allait favoriser l’épanouissement du génie de l’Espagne ne dominait pas encore l’horizon, mais ses rayons de feu l’empourpraient déjà. S’il ne fut pas donné à Ferdinand et à Isabelle d’entrevoir Velâsquez, Ribera, Murillo, Hernândez, Montanes, Salinas, Cervantes, Fray Luis de Léon, sainte Thérèse, Calderôn, ils s’éteignirent dans la pleine conscience que le domaine artistique, comme les vastes champs militaires, politiques et financiers, avaient refleuri sous leur impulsion. À l’Espagne de Juan II et de Enrique IV, pauvre, déshéritée, morcelée, déconsidérée, craintive, déchirée par les factions, glissant vers la suprême déchéance, avait succédé l’Espagne d’Isabelle, riche, prospère, glorieuse, dominatrice sur les deux hémisphères, dont l’épée victorieuse inspirait le respect aux plus puissants royaumes. Cinq lustres avaient suffi à la grande Reine de Castille pour opérer ce miracle unique dans les annales de l’humanité.