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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/159

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LA LUXURE DE GRENADE

gardons, eux et moi, un souvenir immortel mais différent. J’ai pensé qu’une merveilleuse ressemblance entre ces deux créatures, la vivante et la morte, allait être la forme nouvelle de ma peine, qu’il me faudrait désormais me tenir aux portes de la léproserie parmi les mendiants pour l’apercevoir et savourer mon remords avec plus de force. Et c’est pourquoi je pleurais sur moi.

La nuit était à peu près tombée et la pièce n’était éclairée que par la lueur des étoiles naissantes.

— C’est le moment où Isabelle, peut-être, envoie quelqu’un me chercher, pensa Almazan.

Et il fit un pas en avant car Soleïman avait saisi sa tête dans ses deux mains et ne bougeait plus. Mais Rosenkreutz se penchait sur lui, retenant Almazan d’un geste de la main.

— Il y a derrière toi un des nôtres dont l’âme est tourmentée et qui est au commencement de son épreuve. N’as-tu rien à lui dire ?

Soleïman resta immobile et Rosenkreutz, croyant qu’il ne l’avait pas entendu, allait renouveler sa question quand il murmura :

— Je vois un grand paysage maritime, une ville pleine de monuments et deux êtres joints par la lumière diffuse du désir… Il l’emmène… Je vois d’autres villes et le rouge du désir qui enveloppe l’homme et la femme pâlit, devient couleur de cendres… Maintenant ils se sont séparés… il l’a abandonnée… Il doit y avoir une grande souffrance chez la femme, car elle tourne comme une bête et le bleu de son intelligence perd sa couleur, devient lavé, se mêle à la couleur brique du désespoir morne. Lui est très