Aller au contenu

Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
LA LUXURE DE GRENADE

pagnie duquel elle se divertissait, et il amenait aussi la jeune Rébecca qui avait pris le titre de danseuse et Rodriguez qui était passé joueur de guzla.

Aboulfedia ne recherchait pas la compagnie d’Almazan. Il l’évitait même. Mais ce jour-là, il prit son ancien élève par le bras et il se mit à marcher à côté de lui. Ses petits yeux brillaient plus qu’à l’ordinaire sous son front énorme. Almazan ne put s’empêcher de le complimenter en souriant sur le changement qui avait dû s’opérer en lui. On le voyait souvent avec le rabbin Anan ben Josué. Or, ce rabbin, talmudiste célèbre, était un homme d’une extraordinaire pureté de mœurs. Du moment qu’il fréquentait Aboulfedia, c’est que celui-ci n’était pas aussi exclusivement attaché au plaisir qu’il l’avait prétendu.

— Tu n’es plus chrétien, dit Aboulfedia, et tu n’es pas encore mahométan. Mais moi je suis juif.

Almazan le regarda avec surprise. Il croyait Aboulfedia au-dessus de toute religion.

Aboulfedia secoua la tête.

— Regarde, dit-il.

Et il montrait du geste, par la porte d’Elvire, le lamentable cortège des réfugiés d’Alhama qui, sur des ânes, sur des mulets ou à pied, continuaient à affluer vers Grenade.

— La race arabe a fini son temps. Sa puissance n’est plus qu’apparente. La race juive va saisir à son tour le flambeau qui fera reculer les sauvages d’Espagne, de France et d’Angleterre.

— Comment serait-ce possible ? dit Almazan de plus en plus étonné. Comment ce peuple dispersé sur la terre…