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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/231

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LA LUXURE DE GRENADE

clous de cuivre, Aboulfedia et Al Birouni étaient maintenant seuls dans la cabine du château d’avant.

La « Bannière du Prophète » devait faire relâche à Saint-Jean d’Acre et c’était là qu’ils comptaient, tous les deux, débarquer pour suivre leurs destinées différentes.

Les minarets de Constantinople n’avaient pas encore disparu à l’horizon que tout près d’eux, derrière la cloison de planches qui les séparait de la cabine voisine, avait retenti une musique de luths. Les six élèves du professeur Chosraï chantaient les regrets de leur patrie qu’elles quittaient pour toujours. Elles chantaient d’une voix très douce des poèmes persans où il était question de bien-aimés sveltes comme des tiges de palmiers, de jeunes filles dont les visages ovales comme des miroirs, étaient portés par des cous d’argent et d’amours parfumées comme les roses d’Ispahan et profondes comme les puits de Mossoul qui ne reflètent pas l’image de ceux qui s’y penchent.

Les luths des six jeunes filles tristes avaient, outre les quatre cordes qui correspondent aux quatre tempéraments de l’homme, la cinquième corde ajoutée par le musicien Ziryab et qui était celle qui correspond à l’âme liée au sang. Au son déchirant de cette cinquième corde, l’Émir Daoud reconnut qu’il emmenait avec lui de grandes artistes et il vint s’asseoir auprès d’elles.

Il ne leur parlait pas. Il tournait vers elles un visage illuminé d’extase et quand l’une ou l’autre s’arrêtait de jouer, il se contentait de l’interpeller à voix basse par un nom, Mais ce nom n’était pas leur