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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/237

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LA LUXURE DE GRENADE

puissante. Mais il y en avait qui étaient vivants et qui demeuraient enchaînés aux morts. Et ils luttaient désespérément pour briser leurs chaînes et poussaient des clameurs en agitant des tronçons de rames.

Quand la silhouette blanche de l’Émir Daoud repassa au milieu d’eux, ils tendirent les mains vers lui pour s’accrocher à cette forme vivante et libre, et l’Émir, entre ces rangs de créatures allongées au bout d’une chaîne, entre ces tentacules avides, fut obligé d’enrouler les larges manches de sa gandourah pour ne pas être saisi.

Il marchait parmi les figures de pierre des morts, les figures de haine et de désespoir des vivants. Celles-là hurlaient, mais l’Émir ne voyait que la grimace du cri car la voix de l’océan couvrait tous les bruits avec son tumulte et ces hurlements silencieux étaient plus déchirants que les plaintes.

Et l’Émir se demandait si au milieu de ces cariatides nues à qui la douleur et la mort donnaient des poses de démence, il ne suivait pas le sombre chemin qui mène à l’enfer d’Allah. Non, c’était le monde terrestre où il venait de revenir, le monde où des forçats sont rivés à leur banc et luttent dans la terreur tandis qu’ils descendent dans le gouffre de la mort. Ah ! vite retrouver la musique des filles de Perse, celles qui chantent le souvenir de l’amour et portent les noms des bien-aimées !

Et comme il arrivait enfin à la porte de la cabine, d’eux hommes fraternels s’entr’aidaient pour hisser sur le pont le coffre noir aux clous de cuivre. Aboulfedia et Al Birouni, sentant le navire s’enfoncer,