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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/247

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LA LUXURE DE GRENADE

royaume terrestre. Il voyait se dérouler les événements comme une longue chaîne logique où tout s’expliquait et se déduisait, où chaque chose était à sa place et où régnait une grande harmonie. Lui-même n’était qu’un effet de causes lointaines. Il comprenait tout ce qu’il avait fallu de guerres, de conquêtes, de peuples en marche pour que, tournant le dos à Grenade, pût cheminer ce roi aveugle qui avait perdu son royaume.

Il voyait comme sur un immense tableau animé, vivant, coloré, prodigieux, se dérouler l’histoire de sa race. Très loin, Mahomet s’avançait suivi des litières de ses femmes et des chameaux destinés aux sacrifices et il baisait la pierre noire de la Caaba. Il gravissait la colline de Safa et il faisait au peuple assemblé une allocution que le Koreischite Rabia répétait phrase par phrase, d’une voix retentissante. Abul Hacen voyait les visages naïfs et fanatiques, les peaux de mouton jetées sur les épaules comme des manteaux, et derrière, entre quelques bouquets de palmiers, les tentes du peuple errant. Sur le flanc d’une montagne de sable dégringolaient des cavaliers qui étaient l’avant-garde d’Amrou, en marche vers Memphis et Alexandrie. Il voyait les soldats d’Okba à travers le Baghreb, ceux de Mousa parcourant l’Espagne et la Gaule. Des villes s’écroulaient, d’autres se dressaient, avec leurs portiques, leurs minarets, leurs bazars et leurs châteaux chargés de miradors. Il voyait les milliers de jets d’eau et les masses féeriques de fleurs des jardins de Zohrah, les forêts de chapiteaux et de coupoles aux nervures étoilées de la Mosquée de Cordoue, les pierres des synagogues, les