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Page:Magre - La Luxure de Grenade, 1926.djvu/301

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LA LUXURE DE GRENADE

douleur du corps, il allait renier la vérité à laquelle il croyait ? Était-ce possible ?

La chair d’Almazan crépitait avec un petit bruit affreux. L’odeur de chair était insupportable. L’inquisiteur, incommodé, se détournait en essayant de cacher son dégoût. Et le bourreau, inlassablement, avec son tic désignait le Christ du plafond.

Mais Almazan n’avait plus souci de ce Christ impitoyable, ni des hommes qui étaient autour de lui, ni de la torture de sa chair. Comme une vapeur bue par le soleil matinal, son âme se dégageait et s’élevait vers la lumière d’une pensée plus haute.

Et sans doute le rayonnement du martyre dut éclairer son visage, car tout près de lui, il entendit la voix parler encore mais un peu angoissée maintenant, tremblante et venant de tellement loin !

— Abjure ta foi ! Ils prétendent que leur extase est la même que celle des mystiques chrétiens et qu’à une certaine hauteur, les vérités se confondent. Mais ils mentent ! Abjure ! Abjure !

Et la voix eut un accent désespéré. Alors Almazan parvint à détourner la tête légèrement et à côté de la sienne, proche comme celle d’un frère, il vit une autre tête qui le regardait. C’était la tête de l’homme qui avait fait des autodafés de milliers de livres à Salamanque et à Tolède, qui avait fait brûler des rabbins juifs parce qu’ils étudiaient la Kabbale et des savants catholiques parce qu’ils pensaient et exprimaient leur pensée, la tête de l’ennemi de l’Esprit, la petite tête chauve et fragile, immense réceptacle du mal à l’état pur.

Et alors, il vit, pour la première fois, les yeux