Page:Mairet - Marca.djvu/283

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passaient devant les yeux. Ce qui la poussait, c’était la faim, faim brutale, terrible, qui la faisait souffrir cruellement ; depuis des semaines elle n’avait pas mangé une seule fois comme on doit manger quand on a dix-huit ans ; depuis de longues journées, elle n’avait eu que du pain, juste assez pour ne pas tomber d’inanition.

Et sa pauvre petite mère était morte presque heureuse en murmurant : « Au moins elle n’aura pas faim, elle ! »

Cependant elle ne pouvait pas rester sur ce banc toute la nuit ; elle sentait que les passants la regardaient d’une façon étrange ; il fallait partir. La soirée avançait, des gens heureux et bavards se pressaient pour arriver au théâtre à temps ; il faisait très clair sur le boulevard, les devantures des magasins flamboyaient ; elle redoutait cette lumière, elle aurait voulu se cacher quelque part dans une obscurité complète. Alors elle pensa à sa chambrette triste et froide ; on ne devait la chasser que le lendemain, elle pourrait donc encore y dormir quelques heures. Après ?… eh bien ! elle finirait peut-être par mourir — cela s’était vu, des gens en plein Paris, au milieu de tout ce luxe, qui mouraient de faim dans des mansardes !

Il lui fallut très longtemps pour regagner la maison : elle était si faible qu’elle se traînait à peine. En passant devant la loge elle entendit la concierge lui crier :