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liv. v.
AGRICULTURE FORESTIÈRE : DES ÉTANGS.


timètre, qui, retranchés de 121, réduisent à 70 ou 76 centimètres le prisme d’eau que l’étang a perdu, et qui se sera nécessairement infiltré dans le sous-sol. Pour l’année entière, la quotité d’eau infiltrée dans le sol de l’étang serait double, c’est-à-dire de 1 mètre 40 centimètres à 1 mètre 52 centimètres, quantité qui approche de celle que nous avons trouvée pour la mare.

Mais cette infiltration n’a lieu que lentement ; l’eau, avant de descendre aux couches inférieures, séjourne assez longtemps dans l’épaisseur du sol où travaillent les racines, pour nuire à la végétation, affaiblir les produits et modifier le végétal, le sol, et même jusqu’à un certain point la couche atmosphérique qui repose immédiatement sur lui. Il en résulte que cette nature de sol est plus humide, que les gelées y sont plus fréquentes et plus nuisibles, et que les végétaux qui enfoncent leurs racines dans ce sous-sol noyé y puisent une sève acqueuse et peu substantielle ; quelques-uns même y périssent parce que leurs racines y pourrissent.

Tous les végétaux ne souffrent pas également de ce défaut du sol argilo-siliceux ; les céréales et les récoltes sarclées, pourvu qu’on fasse écouler les eaux de la surface, y donnent souvent de bons produits ; mais certains grands végétaux y viennent plus difficilement. Les peupliers, les arbres fruitiers, les mélèses, s’accommodent mal de cette imperméabilité du sol lorsqu’elle est très marquée ; le chêne et le châtaignier y gèlent souvent, et, pour que les plantations y réussissent, il est nécessaire que le sous-sol soit défoncé. Nous avons vu dans la Gueldre, plateau argilo-siliceux et d’une nature très imperméable, un propriétaire faire réussir toutes ses plantations, arbres fruitiers, peupliers et même les mûriers, en défonçant le sol jusqu’à une couche plus perméable, pendant que les plantations de ses voisins, faites avec les conditions ordinaires, restaient sans succès.

Nous avons dit que ce sol se tassait par le séjour des eaux ; cet effet se remarque particulièrement sur le sol des étangs ; mais comme, tous les trois ans, on les laboure, la couche plus fortement tassée ne commence qu’au dessous du sol labourable. Cette couche, outre la charge des eaux, éprouve encore, tous les deux ou trois ans, celle du talon de la charrue et de la marche des hommes et des animaux de labour qui cultivent l’étang. Ce tassement est très sensible sur une épaisseur de 15 à 20 centimètres sous la couche labourée, au-dessous de laquelle la terre reprend à peu près sa consistance ordinaire. L’effet de ce tassement est d’autant plus sensible que le sol est plus argileux. Sur ce sol d’étang, le mélèse et le chêne réussissent mal, à moins que la couche tassée ne soit effondrée ; le pin du lord, le pin sylvestre, le bouleau, le charme, l’épicéa même, s’y établissent avec avantage si toutefois le tassement n’est pas trop fort. Lorsque les racines du mélèse parviennent à traverser cette couche, il reprend force et vigueur, surtout lorsqu’il peut implanter ses racines dans le sous-sol rougeâtre, qui cependant paraît tout-à-fait infécond.

En examinant le sol argilo-siliceux, en étudiant sa composition, ses caractères extérieurs, son gisement dans différents pays très éloignés les uns des autres, on le retrouve partout avec les mêmes caractères extérieurs, les mêmes propriétés : ce qui doit le faire attribuer à une même formation qui a dû être la dernière des grandes formations, puisque nulle part il n’est recouvert par elles et qu’il recouvre la surface de toutes les autres. On le retrouve quelquefois sous les alluvions du fond des bassins ; mais ces alluvions, qui ne sont que partielles, n’occupent que le fond de ces bassins et sont les derniers phénomènes du grand cataclysme qui a produit l’alluvion générale. Dans la débâcle qui a balayé le fond des bassins et en a entraîné le dépôt argilo-siliceux, quelques parties qui sont restées ont été recouvertes des débris des lieux environnants.

Le grand plateau du bassin de la Loire et d’une partie de ses affluents, dans lequel est comprise une douzaine de départements, contient plus de moitié des étangs de France et les deux cinquièmes de leur contenance totale. Placé à une grande hauteur au-dessus du cours du fleuve, il est sans doute la plaine la plus élevée de l’intérieur de la France, parce que la Loire est celui des fleuves dont le cours est le plus long, et qu’il est très rapide dans sa première moitié.

Les étangs, dans les pays calcaires, ont presque tous été desséchés, parce que le sol était de bonne qualité, et que celui de la surface, au moyen du principe calcaire qu’il contient, se délite, se laisse imbiber et pénétrer d’eau qu’il transmet aux couches inférieures. Dans la partie du Berry en sol calcaire, on a défriché aussi une partie des étangs avec très grand profit, parce que, toujours couverts d’eau sans être cultivés, ils avaient accumulé une quantité de vase très fertile, dont les produits ont été et continuent d’être très grands. Cependant, lorsque le sol calcaire se trouve avoir pour sous-sol une couche épaisse d’une marne terreuse, homogène et à grains fins, il est alors peu perméable et on peut y établir des étangs ; il en reste quelques-uns sur cette nature de sol en Bresse, qui, au moyen de la culture alterne en eau et en poissons, sont des fonds précieux qui se louent à un prix aussi élevé que les fonds en corps de domaine. Deux années d’empoissonnage mettent ce sol, engraissé par le séjour des eaux et les déjections des poissons, en état de produire sans engrais quatre récoltes successives et alternes de maïs et de froment, pendant que les étangs argilo-siliceux, lors même qu’ils sont en bon sol, ne peuvent produire qu’une bonne récolte d’avoine, de seigle ou de froment, suivant la nature de leur sol : cela nous prouve d’une manière bien évidente le fait important établi par nous ailleurs, que la même quantité et nature d’engrais donne beaucoup plus de produits sur les sols calcaires que sur les sol siliceux. Dans l’un de ces étangs à sol calcaire, après deux ans d’empoissonnage, nous avons, en 1833, sur un seul labour, huit jours après la pêche de la fin de septembre, fait semer du froment qui a produit 24 hectolitres par hectare ; l’année suivante, le cultivateur a voulu semer encore du froment qui a produit 18 hectolitres. En 1835, une portion de l’étang qui se trouve en terre blanche a porté de la navette, et le reste du sol calcaire, semé toujours sans engrais en maïs, a produit autant que les bons fonds bien fumés ; enfin, dans la quatrième année, dernière de l’assolement, au moyen de la fécondité qui restait, on a recueilli encore, sans engrais, six à huit fois la semence en froment ; après ces quatre récoltes, a recommencé l’empoissonnement pour rendre à ce sol de nouvelles forces productives.

Concluons des faits qui précèdent, que les déjections des poissons sont, après, avant peut-être le guano, le plus puissant engrais connu ; et nous ferons remarquer la grande analogie de ces engrais entre eux : le premier est fourni immédiatement par le poisson, et le second, à ce qu’il semble, serait le débris et le résidu de sa consommation par des oiseaux de mer qui en font leur nourriture.

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§ vi. — De l’abondance des eaux de pluie.

Une condition importante au succès des étangs dans un pays, c’est que les pluies y soient abondantes ; là où elles manquent, les étangs ne peuvent s’établir qu’au moyen de sources et de cours d’eau ; mais, comme nous l’avons dit ailleurs, les plateaux argilo-siliceux en renferment peu : les étangs doivent donc y être rares lorsque les pluies y sont peu abondantes. Cette circonstance explique le nombre plus grand qu’ailleurs des étangs sur le plateau de Dombes et de Bresse, pays où, d’après les observations que nous avons continuées pendant plusieurs années, il tombe par an, en moyenne, 120 centimètres d’eau ; à Paris et dans les environs, la moyenne est de 50 centimètres ; les pluies de l’Ain fournissent donc un volume d’eau deux fois et un tiers plus considérable qu’une partie des plateaux de même nature ; aussi on y a établi avec succès un nombre d’étangs beaucoup plus grand.

Mais cet avantage, si toutefois c’en est un, est chèrement acheté. La culture, sur cette nature de sol qui craint l’humidité, offre, avec cette masse de pluie, beaucoup plus de difficulté que sur les autres plateaux de même formation ; et ce qui est encore plus fâcheux, c’est que l’insalubrité, naturelle peut-être à cette sorte de terrain, en est notablement accrue.