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livre viii.
HORTICULTURE.


il faut beaucoup de discernement pour ne découvrir que les grappes assez avancées, ce qu’on reconnaît à la demi-transparence des grains ; les raisins découverts trop tôt sont exposés à être grillés ; ceux qu’on découvre trop tard, quoique bien mûrs, restent verts, et sont moins avantageux pour la vente ; ils sont en outre réellement moins bons que les raisins dorés par le soleil.

L’épamprement, à Thomery et aux environs, est confié aux femmes ; l’expérience leur a très bien enseigné le moment opportun ; elles s’y reprennent ordinairement à trois fois différentes, parce que toutes les grappes d’une treille ne mûrissent jamais en même temps ; on ferait beaucoup de tort à la vigne en enlevant avec les feuilles les pétioles qui les supportent ; la feuille doit être coupée à la naissance de la queue ; celle-ci reste attachée à la branche et continue à nourrir dans son aisselle l’œil ou bourgeon qui doit s’ouvrir l’année suivante. C’est encore des femmes de Thomery qu’il faut prendre leçon pour l’emballage et l’arrangement du raisin dans les paniers. La fougère (pteris aquilina) qui sert à cet emballage est récoltée avec beaucoup de soin ; dans les années où le raisin est très abondant, les femmes et les enfants de Thomery vont quelquefois à la fougère, comme on dit dans le pays, à 3 et 4 myriamètres de distance. Pour que la fougère ait le degré de souplesse convenable, on enlève les plus grosses tiges, et l’on attache le reste par paquets qu’on fait sécher à moitié à l’air libre ; en cet état, la fougère est très élastique, elle prévient le tassement du raisin dans les paniers, mieux que ne pourrait le faire la paille ou le foin.

Nous ne saurions trop le répéter, la perfection du chasselas récolté sur les treilles de Thomery et des environs ne peut être attribuée à aucune circonstance particulière de sol, de climat, ou d’exposition ; elle est entièrement due aux soins que les industrieux habitants de Thomery donnent à leurs vignes, soins comparables à ceux que les jardiniers de Montreuil prennent de leurs pêchers. L’indigne verjus dont, à l’exception des années extraordinairement favorables, les rues de la capitale sont inondées pour la consommation du peuple qui ne connaît pas d’autre raisin, pourrait être remplacé, pour le même prix, par du raisin analogue à celui de Fontainebleau, si les procédés de culture en usage à Thomery pouvaient être généralement adoptés par ceux qui cultivent le raisin de table. Le produit des treilles de Thomery ne perdrait à ce changement rien de sa valeur actuelle ; ce chasselas d’élite serait toujours réservé pour la table du riche ; mais du moins, le peuple pourrait connaître un raisin mangeable au lieu de ce fruit aigre et malsain, qui cause tant de fièvres et de dyssenteries souvent mortelles. Tout le monde ne peut pas, sans doute, aborder la dépense des murs à la Thomery ; mais il n’est pas de jardinier, pas même de simple vigneron qui ne puisse faire les frais d’un contre-espalier, soit en treillage, soit en fil de fer, sur lequel il pourrait pratiquer la culture à la Thomery ; il ne lui en coûterait pas beaucoup plus que pour les échalas dont il est habitué à se servir ; cela suffirait pour rendre le bon raisin tellement abondant sur le marché que le mauvais n’oserait s’y présenter ; les vignerons insouciants seraient alors contraints à sortir de leur routine, ou bien à se contenter de faire de leur verjus du vin de Suresne.

§ IV. — Frais et produits.
A. — Frais.

La construction des murs est à Thomery, comme à Montreuil, le principal article de dépense. Un enclos d’un hectare exige 400 mètres de murs de clôture, 800 mètres de murs intérieurs, et 3,200m de contre-espalier ; chaque intervalle entre doux lignes de murs admet quatre rangées de contre-espaliers.

Les frais d’établissement d’un enclos d’un hectare consacré à la culture des treilles à -la Thomery peuvent être représentés par approximation par les chiffres suivants :

Murs de clôture de 2m,70 de hauteur, 400 mètres à 15 fr 
 6,000 f
Murs intérieurs de 2,15 de hauteur, 800 m. à 13 fr 
 10,400
Contre-espalier en fil de fer, 3,200 mètres à 1 fr. 50 c 
 4,800
Achat du terrain 
 4,000
Fumier et main-d’œuvre 
 800
—————
Total 
 26,000 f

La plantation se faisant toujours de bouture, l’achat du plant n’est pas porté en compte. Les prismes de grès supportant les montants en fer sont placés à 1m,70 les uns des autres ; ils coûtent à Thomery tout ferrés 1 fr. pièce ; le prix du mètre courant peut varier selon la grosseur du fil de fer qu’on emploie, article dont le prix est lui-même très variable, selon la distance où l’on se trouve des lieux de fabrication. Lorsqu’on se contente d’un treillage en bois soutenu par des piquets, la dépense n’est que de 75 c. le mètre courant, ce qui réduit dans ce cas le total de la dépense à 23,600 fr.

Dans le compte de cette culture, il n’y a point lieu de tenir compte des intérêts pour les trois premières années, puisque les avances pendant ces trois ans se réduisent au loyer du terrain et à la main-d’œuvre. La vigne à la Thomery ne couvre la totalité des murs qu’à sept ans. A cette époque, un enclos d’un hectare dont les murs intérieurs faisant face au levant et au couchant sont utilisés des deux côtés, présente une surface de 4,520m d’espalier, et 3,712 mètres de contre-espalier. Il a coûté pour parvenir à cet état :

Achat du terrain 
 4,000 f
Plantation et entretien pendant trois ans 
 1,600
Intérêts du prix d’achat, à 5 p. 100 
 600
A reporter 
 6,200