Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, I.djvu/313

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qu’on le pratique communément, n’a aucun avantage réel, et il en résulte ordinairement perte de poids et de qualité, altération de couleur et renflement trompeur, commencement de fermentation que nous avons vue plusieurs fois poussée jusqu’à la germination, après des pluies abondantes longtemps attendues ; et, par une conséquence nécessaire, des maladies funestes qu’on attribue souvent à toute autre cause, quelquefois même des incendies dans les granges et dans les meules, qu’on attribue encore à la malveillance ; et des semailles faites avec des grains avariés, qui lèvent mal ou ne lèvent pas, ce dont nous avons été plusieurs fois témoins. »

Lorsqu’il faut au grain peu de jours pour achever de mûrir, on peut le laisser sur le sol ; mais, lorsque, pour obtenir ce résultat, on prévoit qu’il faudra attendre un certain espace de temps, on fera bien de se résoudre à construire des moyes. Leur édification ne présente pas de difficultés sérieuses, pourvu qu’on en confie la direction à un homme jaloux d’apporter dans la besogne qu’il entreprend toute la perfection possible.

Il y a deux manières de former un meulon ; on dispose les chaumes circulairement sur un plan vertical, ou bien horizontalement. Nous allons d’abord décrire ce dernier procédé. Après avoir aplani grossièrement le sol en le foulant aux pieds, on dépose triangulairement trois javelles disposées de manière que les épis ne touchent pas le sol (fig. 408). Sur cette 1re base on place circulairement un rang de javelles, les épis convergens vers le centre et se touchant en ce point (fig. 409). On continue à disposer pareillement plusieurs lits successifs, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une hauteur de 4 pi. environ. Alors les couches de grain se déposent de manière que les épis se croisent au centre, ce qui ne tarde pas à élever ce point au-dessus de tous les autres. La paille prend une inclinaison de haut en bas comme un toit, disposition qui facilite l’écoulement des eaux pluviales. Lorsque l’exhaussement central forme une inclinaison qui approche de 45°, on cesse l’opération pour construire une nouvelle moye. Pendant tout ce temps un ouvrier exercé a préparé le chapeau (fig. 410) ; il consiste en une forte gerbe bien liée avec un ou deux liens, selon la grandeur de la paille. On écarte les épis, on pose le chapeau renversé sur le meulon qui offre la forme représentée par la fig. 411. Les moyettes que je viens de décrire sont en usage sur diverses parties du territoire français, et notamment dans la Flandre française. Elles conviennent non seulement aux céréales, mais encore à toutes les graines oléagineuses.

Les moyes à couches verticales sont usitées plus particulièrement sur certains points de la Picardie. Une gerbe bien liée en forme le noyau ou le centre ; on range tout autour des javelles, l’épi en haut, appuyées contre la gerbe centrale, non pas parallèlement, mais un peu inclinées. La fig. 412 en montre la coupe par le centre. Lorsque le meulon a un diamètre qui ne peut être déterminé, mais qui ne dépasse pas deux fois la longueur des pailles, on le couvre du chapeau, comme dans la méthode précédente. J’ai vu pratiquer les deux sortes de moyes, l’une à Roville et l’autre au Ménil. Toutes deux offrent des avantages qui leur sont particuliers. Celle par couches horizontales sera préférée toutes les fois que le grain devra demeurer longtemps à l’air, ou être exposé à de grandes pluies ; l’autre offre l’avantage de la célérité et de l’économie, mais elle a l’inconvénient de se laisser plus facilement pénétrer par les pluies.

On a dans certains pays un autre mode de javelage qui ressemble beaucoup au précédent. On prend une javelle, on en saisit les épis de la main gauche et on la dresse, en ayant soin que la partie inférieure des tiges touche le sol ; pendant cette manœuvre la main droite écarte la partie inférieure, de sorte que la javelle, ainsi disposée, forme un cône tronqué (fig. 413). On se sert de cette méthode dans les Vosges et en Allemagne pour le sarrasin, dans la Basse-Bretagne pour le trèfle de semence.

Telles sont les précautions qui assurent à la pratique du javelage les succès qu’avait promis la théorie, et qui nous fournissent l'occasion de répéter un axiome qui doit être médité par tous les vrais cultivateurs, c’est que lorsqu’un principe est vrai, et ne réalise pas les espérances qu’il avait fait concevoir, on peut être sûr que l’on se trompe sur l’application.