Page:Maison rustique du XIXe siècle, éd. Bixio, 1844, II.djvu/399

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bien en faire la distinction, paient ces cuirs moins cher à poids égal, que ceux des vieux bœufs.

Examinons maintenant avec M. Grognier la question sous un point de vue plus vaste. « Si, à la suite d’une révolution dans l’économie bovine, les bœufs envoyés à la boucherie avaient 5 à 6 ans, au lieu de 10 à 12, il en arriverait le double dans le même espace de temps, et la consommation de la viande augmenterait dans la même proportion ; le commerce recevrait de son côté deux fois plus de suif, de peaux, etc. — La population bovine resterait la même, mais elle ne serait pas composée de la même manière : les veaux d’élève seraient plus nombreux, et l’agriculture aurait à supporter les frais de leur enfance improductive. — Les bœufs travailleurs, les vaches laitières seraient en moindre nombre et on aurait deux fois plus de bêtes à l’engrais. — Mais on aurait du bétail pour tous les usages en augmentant la population bovine. Les Anglais ont fait plus que la doubler ; ils ne laissent guère vivre au delà de quatre ans leurs bœufs de boucherie ; ils ont créé des races dont l’engraissement prématuré offre autant de produits qu’un engraissement tardif. C’est par l’augmentation de leur population bovine, et la création des races de boucherie, que les Anglais ont répondu à toutes les objections élevées par l’intérêt particulier contre l’engraissement des jeunes bœufs. Ce sont ordinairement de jeunes bœufs gras qui remportent les prix aux fameuses exhibitions de Smithfield. Au concours de 1826, le lauréat n’avait que 2 ans et 11 mois ; il fut jugé peser, viande nette, 1.300 livres, Il faut l’avouer cependant, les Anglais enverraient moins de jeunes bœufs à la boucherie, s’ils employaient moins de chevaux aux travaux agricoles.

» En ce qui concerne l’engraissement des moutons, c’est aux lumières de Daubenton que nous devons avoir recours. « Si l’on veut avoir des moutons gras, dont la chair soit tendre et de bon goût, dit l’auteur que je viens de citer, il faut les engraisser de pouture (à la bergerie) à l’âge de trois ans. Les moutons de deux ans ont peu de corps et prennent peu de graisse ; à trois ans ils sont plus gros et prennent plus de graisse ; à quatre ans ils sont encore plus gros et ils deviennent plus gras, mais leur chair est moins tendre ; à cinq ans la chair est dure et sèche ; cependant si l’on veut avoir les produits des toisons et des fumiers, on attend encore plus tard, même jusqu’à dix ans, lorsqu’on est dans un pays où les moutons peuvent vivre jusqu’à cet âge ; mais il faut les engraisser un an ou quinze mois avant le moment où ils commencent à dépérir. »

[7.4.4]

§ IV. — Influence de la taille sur le choix des bêtes
destinées à l’engraissement.

La taille des animaux que l’on veut engraisser doit être proportionnée à la richesse des pâturages où on les met à l’engrais, ou à la quantité de nourriture qu’on peut leur donnera à l’étable. Si l’on n’a à sa disposition que des prairies médiocres, on ne peut livrer à l’engrais que des bêtes de petite taille, car dans ces herbages les bêtes volumineuses n’auraient pas le temps de prendre la quantité de nourriture nécessaire à leur engraissement. — Ce serait donc se ruiner que de placer pour cet objet des bœufs très-gras dans des prés peu garnis d’herbes, ou de leur ménager le bon foin, les graines farineuses, et les autres alimens employés en pareille circonstance.

Il a été reconnu en Angleterre que le plus souvent les bêtes de petite race s’engraissent plus facilement que celles de grosse race ; il y a lieu de penser, d’après un certain nombre de faits, qu’il en est de même en France. Doit-on en conclure que dans tous les cas il est plus avantageux de choisir, pour mettre à l’engrais, des bêtes de petite taille ? Examinons cette question, et prenons les bœufs pour exemple. — Il est prouvé que la force des animaux destinés au tirage est en raison directe, de leur poids ; donc un bœuf pesant mille livres pourra faire autant d’ouvrage que deux bœufs de 500 : cette circonstance est déjà à prendre en considération dans le choix des bêtes que l’on élève. Si l’on en croit M. Mathieu de Dombasle, la consommation respective suit la même loi. « Il est assez indifférent, dit cet agronome, d’obtenir un quintal de viande en une bête, ou deux, car dans un cas comme dans l’autre cette quantité de viande a consommé une égale quantité de nourriture pour être produite ; elle coule par conséquent autant au producteur, toutes choses égales d’ailleurs. » Victor Yvart, dont l’autorité est d’un si grand poids en économie rurale, pensait que deux petits bœufs de 500 livres consommaient ensemble plus qu’un bœuf unique de 1000 livres et ne donnaient pas du fumier dans la même proportion. — Il soutenait qu’en réunissant les squelettes de deux petits bœufs, leurs estomacs, leurs intestins, toutes leurs issues, tous leurs rebuts, on a une masse notablement plus considérable que celle de ces mêmes matières tirées d’un bœuf unique ; celui-ci, quoique ne pesant qu’une fois plus, donne au delà du double en viande et en suif. Il offre donc un bénéfice réel, la consommation eût-elle été égale à celle des deux petits ; et tout porte à croire qu’elle a été moindre.

M. Grognier nous apprend que les bouchers de Lyon achètent plus cher un bœuf gras de la Bresse ou du Charolais du poids de 1200 livres, que deux petits bœufs engraissés dans le pays et pesant chacun 600 livres ; ils regardent comme d’égale qualité la viande de l’un et des autres, et ils préfèrent, comme étant plus ferme, le suif du premier. Quant aux cuirs, comme ils se vendent au poids, et que ceux des grands animaux sont nécessaires dans beaucoup de manufactures, l’avantage est encore sous ce rapport du côté du gros bœuf.

En résumé, partout où l’on a à sa disposition de gras pâturages, ou une abondante nourriture, on doit, toutes choses égales d’ailleurs, préférer les races volumineuses pour l’engraissement.

[7.4.5]

§ V. — Circonstances qui favorisent l’engraissement.

Une température chaude et humide et la moins variable possible ; une obscurité complète, ou, au plus, un jour à peine suffisant