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liv. iv.
Arts agricoles : fabrication des eaux-de-vie.

tiennent immédiatement le principe sucré et entrent aussitôt après leur extraction en fermentation, lorsque la température est favorable ; les autres exigent un traitement particulier pour être transformées en matières sucrées susceptibles d’éprouver la fermentation alcoolique.

Les substances qui contiennent immédiatement le principe sucré sont ordinairement des sucs extraits de diverses parties des végétaux, telles que le fruit, la tige ou la racine ; quant à celles qui exigent un traitement particulier pour être transformées en matières sucrées, ce sont communément des corps qui contiennent en plus ou moins grande quantité de l’amidon, et qu’on désigne sous le nom de matières ou substances amylacées.

Les sucs des fruits dont on recueille de l’eau-de-vie après la fermentation alcoolique, sont ceux du raisin ou le vin ordinaire, qui est le liquide le plus généralement employé en France ; puis ceux des pommes ou des poires ou le cidre et le poiré, du prunier cultivé (prunus domestica), du cerisier-merisier (cerasus avium) dont on retire la liqueur connue sous le nom de kirsche, du framboisier (rubus idœus), du fraisier commun (fragaria sylvestris), de l’airelle myrtil (vaccinium myrtillus), des mûriers (morus alba et nigra), du genévrier commun (juniperus communis), de l’arbousier commun (arbutus unedo), du sorbier des oiseleurs (sorbus aucuparia), etc.

Les sucs des tiges de végétaux sont en 1er lieu ceux qu’on extrait de la canne à sucre (arundo saccharifera), qui contient 12 à 16 pour % de sucre et donne immédiatement par la fermentation et la distillation, dans les Indes-Occidentales, la liqueur connue sous le nom de rhum. On peut ranger encore dans cette catégorie l’eau chargée de sucre qu’on soumet à la fermentation, ainsi que les mélasses qui donnent le taffia, les écumes, les eaux du bac, eaux-mères, eaux grasses ou petites eaux des établissemens où on fabrique et raffine les sucres ; en second lieu, ce sont la sève, qu’on extrait de la tige de l’érable, du bouleau, puis celle de quelques espèces de palmiers qui fournit dans les Indes la liqueur alcoolique appelée arack.

Les racines sont la betterave, qui contient 7 à 8 pour % de sucre, puis le suc du panais (pastinaca sativa), de la carotte (daucus carota), du navet (brassica napus), du navet de Suède (brassica rutabaga), qui, par une addition d’orge germée, passent promptement et d’une manière régulière à la fermentation alcoolique.

Quant aux substances amylacées, qui exigent l’emploi de procédés particuliers pour être transformées en matières sucrées susceptibles d’entrer en fermentation, ce sont :

1° Les graines, telles que le froment, le seigle, l’orge, l’avoine, puis le sarrasin, le riz, qui fournit le rack, et le maïs, ansi que quelques graines de légumineuses, comme haricots, pois, lentilles, etc. ;

2° La pomme de terre, ou la fécule qu’on en extrait, qu’on peut saccharifier par divers procédés ;

3° Les fruits féculent, tels que ceux du marronnier d’Inde, du châtaignier, du chêne, etc.

Une substance produite par les animaux, le miel délayé dans l’eau, éprouve facilement la fermentation vineuse et donne de l’eau-de-vie à la distillation.

Toutes les eaux-de-vie n’ont pas le même goût et la même qualité. Celle de cidre, par exemple, a en général un mauvais goût dû à l’acide malique dont une partie passe avec l’eau-de-vie à la distillation. Les eaux-de-vie de grains, distillés avec les marcs, ont une saveur désagréable qu’on masque en les rectifiant sur des baies de genièvre et en ajoutant, comme en Angleterre, un peu d’essence de térébenthine, etc.

Les eaux-de-vie qu’on rencontre le plus communément dans le commerce sont celles de vin, de grains ou de fécule. Nous allons entrer dans quelques détails relativement à la fabrication des unes et des autres.

Section II. — De la fabrication des eaux-de-vie de vin.

[10.2.1]

§ Ier. — De la brûlerie.

Le local dans lequel on opère la distillation des vins se nomme une brûlerie ; les vases au moyen desquels elle se fait, appareils distillatoires ; l’homme qui en conduit les opérations et qui dirige les ouvriers est le bouilleur ; le distillateur est le négociant ou fabricant qui achète des vins, les distille et vend des eaux-de-vie. Beaucoup de fabricans sont à la fois distillateurs et bouilleurs.

Une brûlerie établie d’après les meilleurs principes doit être composée d’une cave pour déposer les vins jusqu’au moment où on les distille, d’un cellier pour emmagasiner les eaux-de-vie et les esprits depuis le moment de leur fabrication jusqu’à celui où ils doivent être livrés au commerce, d’un atelier ou brûlerie dans lequel se font tous les travaux de la distillation, et enfin de hangars ou appentis où on répare les tonneaux et où le combustible est déposé.

On a fait connaître dans l’article précédent toutes les conditions que doit remplir une cave pour que les liquides spiritueux s’y conservent en bon état, et on est entré dans des détails étendus sur les vases les plus propres à conserver ces liquides, ainsi que sur la manière de les soigner et d’empêcher qu’ils ne perdent leur spirituosité ; ce qui nous dispense de revenir sur ce sujet.

Le magasin ou cellier qui reçoit les futailles d’eau-de-vie et d’esprit doit être voûté et en partie enfoncé en terre ; les murs en seront épais pour y conserver à l’intérieur une température fraîche et uniforme ; les portes et les ouvertures qu’on jugera nécessaire d’y pratiquer seront tournées vers le nord et disposées de manière à pouvoir y établir un léger courant d’air ; elles fermeront avec exactitude. Les futailles seront établies sur des chantiers en maçonnerie semblables à peu près à ceux usités pour les vins de Champagne mousseux, et qui permettent de vérifier avec facilité le coulage des pièces et de recueillir les parties du liquide qui s’en sont échappées.

L’atelier sera proportionné dans ses dimensions à la nature et au nombre des appareils qu’on veut y faire fonctionner. Tout y sera disposé de la manière la plus convenable pour