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chap. 9e.
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DE L’ÉTABLISSEMENT DES ÉTANGS.


trouvent nécessairement placés sur des plateaux assez élevés au-dessus du fond des bassins des rivières qui les bordent, et dans lesquels ils versent leurs eaux. Lorsque les étangs se succèdent en suivant la pente générale du plateau, sans verser dans des rivières latérales, il faut que le sol ait au moins, de pente, la somme des hauteurs de toutes leurs chaussées, ce qui donnerait déjà, pour une vingtaine seulement d’étangs qui se suivraient, 150 à 200 pieds de pente ; mais il en est assez peu qui soient placés de cette manière, et leur nombre se trouverait toujours très circonscrit si le plateau n’était coupé par de petites rivières. Les bassins de ces rivières servent de débouchés à d’autres petits bassins tertiaires où sont placés les étangs ; alors une moindre pente générale est nécessaire pour un même nombre d’étangs ; mais le plateau cependant doit avoir une assez forte pente et être très élevé au-dessus du grand bassin dont il suit le cours. Les pays d’étangs en France sont donc, contrairement à l’opinion générale et qui domine dans le rapport de la commission de l’an iv , les plus élevés après les pays montagneux ; cette différence de niveau du plateau où sont placés les étangs avec les plaines de littoral qui l’environnent suffit pour que le climat y soit naturellement un peu plus froid.

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§ v . — De la nature de sol propre à l’établissement des étangs, et de l'imperméabilité du sol.

Il est encore une condition tout-à-fait indispensable pour l’établissement des étangs dans un pays ; c’est que la couche inférieure du sol ou du sous-sol soit peu perméable. Si ce sous-sol se laisse facilement traverser par l’eau, il est évident que pendant l’été, lorsque les pluies tombent à de longs intervalles, l’infiltration, aidée de l’évaporation produite par de longues journées de chaleur, diminue la masse des eaux de manière à faire périr le poisson et à mettre quelquefois l’étang à sec. Cette condition du sous-sol imperméable appartient presque exclusivement à une nature de terrain très abondamment répandue sur la surface du globe : elle est désignée dans beaucoup de pays sous le nom de terre à bois, parce que ce produit y réussit assez ordinairement : dans l’Ain, Saône-et-Loire, le Jura, et dans beaucoup d’autres lieux, elle porte le nom de terrain blanc ou terre blanche, blanche terre ; c’est la boulbenne ou bolbine du Midi, le gault dans quelques endroits, et souvent le diluvium pour beaucoup de géologues. Elle est composée de sable fin siliceux et d’argile, mêlés ensemble d’une manière intime ; elle offre plus ou moins de ténacité, suivant que le sable est plus ou moins fin, ou que l’argile s’y trouve en plus ou moins grande proportion. Lorsque la surface arrive à un état sablonneux, le plus souvent encore le sous-sol renferme assez d’argile pour ne point se laisser pénétrer par les eaux ; comme il ne contient point de parties calcaires, l'eau ne peut point le déliter, c’est-à-dire séparer ses parties, et par suite traverser facilement ses couches inférieures. Ce sol, amené à l’état sec, reprend ensuite à la pluie une proportion d’eau considérable ; mais lorsqu’il en est saturé, tout ce qui tombe de plus reste en plus grande partie à sa surface ou s’en écoule, ce qui forme tout son avantage pour les étangs ; il est très long à sécher, parce qu’il ne peut perdre d’une manière bien sensible son humidité ou l’eau de sa surface que par l’évaporation ou la transpiration des plantes qui le couvrent. La couche supérieure repose presque toujours sur un sable argileux, coupé de veines rougeâtres moins pénétrables encore par l’eau que le sol de la surface.

On peut citer, comme type de son imperméabilité, quelques cantons du Gers où, dans les années de grande abondance, on conserve le vin dans des trous faits dans le sol. Il est toutefois remarquable que, pour que cette imperméabilité s’exerce, il faut que le sol soit préalablement saturé d’eau ; et puis ce vin sans doute ne reste pas en terre pendant l’été, et il est défendu de l’évaporation par des couvercles.

Notre sol ne possède pas la faculté de retenir l’eau à ce point extraordinaire ; mais cette faculté s’accroit par sa culture en étangs. On remarque en effet que les nouveaux étangs tiennent moins bien l’eau que les anciens ; la charge d’eau, sur les étangs pleins, presse sur une masse de sol fortement pénétré d’eau, qui se ramollit, acquiert une certaine flexibilité qui le rend susceptible d’éprouver la pression et de se resserrer jusqu’à une certaine profondeur ; cet effet accroît beaucoup son imperméabilité : dans ce cas cependant cette imperméabilité est encore loin d’être absolue, et l’infiltration des eaux y est beaucoup plus considérable qu’on ne serait disposé à l’admettre.

Et d’abord nous en trouverons une preuve dans ce qui se remarque au pied de toutes les chaussées d’étangs. Ces chaussées faites avec le sol de nature imperméable de l’étang, sur une épaisseur double au moins de sa profondeur, et dont une partie est, comme nous le verrons, battue et corroyée, se laisse cependant pénétrer par les eaux, et tout le long de la chaussée on aperçoit des infiltrations.

Nous pouvons même nous former une idée de la quotité d’eau que laisse encore passer cette nature de sol.

Pour cela, nous ferons d’abord remarquer que la quantité moyenne annuelle de pluie est, dans notre pays, de 1 mètre 20 centimètres, et celle de l’évaporation de 1 mètre ; nous admettrons ensuite, ce qui est à peu prés d’expérience, que la quotité de pluie qui tombe en automne et en hiver serait moitié en sus de celle du printemps et de l’été, c’est-à-dire qu’elle serait de 72 centimètres pour le semestre d’automne et d’hiver, et de 48 centimètres pour celui de printemps et d’été ; nous admettrons encore que l’évaporation du printemps et de l’été serait de moitié en sus de celle de l’automne et de l’hiver, c’est-à-dire de 60 centimètres pour une époque, et de 40 centimètres pour l’autre.

Maintenant, avec ces données, nous remarquerons que les mares placées dans les parties basses de bois ou de terrains vagues du plateau argilo-siliceux se remplissent d’eau pendant l’automne et l’hiver, et se trouvent à sec souvent avant la fin de l’été. D’après l’observation précédente, il tombera, pendant l’été et le printemps, sur la surface de la mare, une couche d’eau de 48 centimètres. Si l’on admet que l’emplacement de la mare, occupant le fond de la dépression du terrain, reçoive autant d’eau des parties environnantes que sa surface en reçoit de la pluie, on aura pour l’eau reçue par la mare, pendant le printemps et l’été, un volume d’eau égal au double de celui tombé pendant la saison sur sa surface, c’est-à-dire un prisme de 96 centimètres de hauteur et qui aurait pour base la surface de la mare, d’où retranchant la quantité d’eau évaporée pendant ces six mois, que nous avons vue être de 60 centimètres, mais que nous supposerons se réduire à un prisme droit de 36 centimètres à peu près, il restera au prisme une hauteur d’eau de 60 centimètres, qui sera nécessairement infiltrée ; à quoi il faut ajouter la quantité d’eau qui était dans la mare, que nous supposons de 50 centimètres de profondeur et que nous pouvons arbitrer à un prisme droit de 20 centimètres de hauteur, ayant pour base la surface de la mare ; il se serait donc infiltré par le fond de la mare un prisme d’eau en moyenne de 80 centimètres de hauteur, et cela pendant la moitié de l’année : d’où il résulterait que, pendant toute l’année, l’infiltration sur le sol de notre plateau serait double, et, par conséquent, de 160 centimètres, ou d’un tiers en sus de la quantité de pluie qui tombe annuellement.

Mais voyons si ce qui se passe dans nos étangs confirmerait on infirmerait ce résultat. Admettant que l’étang que nous prenons pour exemple soit de profondeur, d’étendue et d’imperméabilité moyennes, qu’il reçoive de son bassin pendant le printemps et l’été autant d’eau qu’il en tombe sur sa surface, il s’ensuit, d’après ce que nous venons de voir, qu'il aura reçu, pendant le printemps et l’été, un prisme droit d'eau de 96 centimètres de hauteur, qui ne s’y trouve plus à la fin de cette saison : mais en moyenne, sans évacuer de trop plein pendant l’été, les étangs perdent au moins un quart de leurs eaux, soit au moins une hauteur de 25 centimètres qui, ajoutés aux 96 centimètres qui précèdent, portent à 121 centimètres le prisme d’eau qu’a perdu l’étang pendant l’été ; l’évaporation de la surface, à cause de la diminution successive d’étendue, se réduira à un prisme droit de 40 à 45 cen-