Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/240

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versité des hommes et des malheurs inséparables de l’humanité, mon cœur se refuse à les croire. Je me représente toujours des sociétés d’amis sincères et vertueux ; des époux assortis, que la santé, la jeunesse et la fortune réunies comblent de bonheur. Je crois les voir errant ensemble dans des bocages plus verts et plus frais que ceux qui me prêtent leur ombre, éclairés par un soleil plus brillant que celui qui m’éclaire, et leur sort me semble plus digne d’envie, à mesure que le mien est plus misérable. Au commencement du printemps, lorsque le vent du Piémont souffle dans notre vallée, je me sens pénétré par sa chaleur vivifiante, et je tressaille malgré moi. J’éprouve un désir inexplicable et le sentiment confus d’une félicité immense dont je pourrais jouir et qui m’est refusée. Alors je fuis de ma cellule, j’erre dans la campagne pour respirer plus librement. J’évite d’être vu par ces mêmes hommes que mon cœur brûle de rencontrer ; et du haut de la colline, caché entre les broussailles comme une bête fauve, mes regards se portent sur la ville d’Aoste. Je vois de loin, avec des yeux d’envie, ses heureux habitants qui me connaissent à peine ; je leur tends les mains en gémissant, et je leur demande ma portion de bonheur. Dans mon transport, vous l’avouerai-je ? j’ai quelquefois serré dans mes bras les arbres de la forêt, en priant Dieu