Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/242

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LE LÉPREUX.

Ah ! monsieur, les insomnies ! les insomnies ! Vous ne pouvez vous figurer combien est longue et triste une nuit qu’un malheureux passe tout entière sans fermer l’œil, l’esprit fixé sur une situation affreuse et sur un avenir sans espoir. Non ! personne ne peut le comprendre. Mes inquiétudes augmentent à mesure que la nuit s’avance ; et, lorsqu’elle est près de finir, mon agitation est telle que je ne sais plus que devenir : mes pensées se brouillent ; j’éprouve un sentiment extraordinaire que je ne trouve jamais en moi que dans ces tristes moments. Tantôt il me semble qu’une force irrésistible m’entraîne dans un gouffre sans fond ; tantôt je vois des taches noires devant mes yeux ; mais, pendant que je les examine, elles se croisent avec la rapidité de l’éclair ; elles grossissent en s’approchant de moi, et bientôt ce sont des montagnes qui m’accablent de leur poids. D’autres fois aussi je vois des nuages sortir de la terre autour de moi, comme des flots qui s’enflent, qui s’amoncellent et menacent de m’engloutir ; et lorsque je veux me lever pour me distraire de ces idées, je me sens comme retenu par des liens invisibles qui m’ôtent les forces. Vous croirez peut-être que ce sont des songes ; mais non, je suis bien éveillé.