Page:Maistre Xavier de - Oeuvres completes, 1880.djvu/251

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fois : je le vis tourner ses yeux vers moi pour me demander un secours que je ne pouvais lui donner. On voulait le noyer dans la Doire ; mais la populace, qui l’attendait en dehors, l’assomma à coups de pierres. J’entendis ses cris, et je rentrai dans ma tour plus mort que vif ; mes genoux tremblants ne pouvaient me soutenir : je me jetai sur mon lit dans un état impossible à décrire. Ma douleur ne me permit de voir dans cet ordre juste, mais sévère, qu’une barbarie aussi atroce qu’inutile ; et quoique j’aie honte aujourd’hui du sentiment qui m’animait alors, je ne puis encore y penser de sang-froid. Je passai toute la journée dans la plus grande agitation. C’était le dernier être vivant qu’on venait d’arracher d’auprès de moi, et ce nouveau coup avait rouvert toutes les plaies de mon cœur.

Telle était ma situation, lorsque le même jour, vers le coucher du soleil, je vins m’asseoir ici, sur cette pierre où vous êtes assis maintenant. J’y réfléchissais depuis quelque temps sur mon triste sort, lorsque là-bas, vers ces deux bouleaux qui terminent la haie, je vis paraître deux jeunes époux qui venaient de s’unir depuis peu. Ils s’avancèrent le long du sentier, à travers la prairie, et passèrent près de moi. La délicieuse tranquillité qu’inspire un bonheur certain était em-