Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/116

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se demandait Augustin, quand M. Rubensohn conduisait devant leurs bancs son long pas perpétuel qui ne menait nulle part, simple pendule auxiliaire, battant le rythme de son esprit.

— En est-il ainsi pour chacun des pas de sa pensée ? Ne sont-ils qu’une gymnastique pour la maintenir alerte, dans une limpide critique éternelle, désengluée des certitudes ?

Mais parfois aussi, lorsque, installé de nouveau dans sa chaire, M. Rubensohn penchait son front osseux sur les longs doigts rejoints de ses deux mains pâles, en une attitude de prière rationnelle et de méditation purement humaine, Augustin se surprenait avec stupeur à en sentir par éclairs et même à en envier la hauteur désolée et la redoutable poésie.

Cet enfant vivait à cette date du plus dédaigneux idéalisme, et le plus éloigné des hommes. Au cours de leurs longues promenades dominicales dans l’aigre temps de mars, entre les averses et les soleils, M. Méridier faisait remarquer l’air de passion candide, la beauté violente et virginale que donnaient aux vergers les pétales d’un rose presque humain précédant les feuilles, sur les rameaux nus de l’avant-printemps.

— Nous commentons, disait-il, le paysage et nous ignorons le nom des arbres fruitiers. Pêchers ? pommiers ? je ne sais pas.

— Nous avons, dit Augustin, choisi la meilleure part.

— Je crains fort qu’elle ne nous soit pas enlevée, fit son père, avec l’ironique aménité qu’il exerçait sur lui-même et sur toute chose, quand il se sentait bien.

Ils lisaient peu les journaux. Ils vivaient assez à part de la petite ville. Augustin revint, un jour, du lycée avec Appiat, externe maintenant, son père ayant transporté au chef-lieu son portefeuille d’assurances et agence d’affaires.