Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/119

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frais fourni, jamais utilisé, tombé du ciel le matin même, coulait intarissablement par l’ouverture des lèvres, y maintenait comme un bain intérieur froid et azuré, faisant penser à des torrents de montagne, à ces glaciers qu’il n’avait jamais vus. Tout était gai, plein d’odeurs de jardins. L’année lui présentait ce morceau de printemps supplémentaire, réservé aux malades : les premiers rires d’avril dont ils n’ont pu jouir, y persistent, gardés pour eux. Christine marchait encore sur la pointe des pieds, mais c’était légèreté, envol, bonheur.

Une certaine mollesse lui restait, qui rendait le lit savoureux. Les draps entretenaient avec les courbes de son corps un contact amical, minutieux et discret, semblable à un repos entre ciel et terre, dans des nuées mythologiques, sur de l’air épaissi et portant.

Le goût des livres lui revint, mais peu à la fois. Un certain détachement s’y joignait comme une lassitude de choses trop aimées, un désir de promenades sur d’autres terres, où tout serait nouveau, langues, géographie, détail des cités et des hommes. De la fenêtre, face aux jardins, que dominait son fauteuil de malade, on voyait maintenant déferler la pleine boule des feuillages. La convalescence, traînante visiteuse, s’éternisait entre les portes. Et la tête, encore lourde dès qu’elle prétendait, à la manière normale, se tenir toute droite sur les épaules, se faisait, sur un oreiller, aérienne et sans poids, toute prête aux ravissements et aux langueurs.

L’édition Brunschvicg de Pascal se trouvait entre ses mains. C’est ce livre qu’il revoit encore, lorsque, après bien des changements et des années, il se rappelle ce temps de sa vie, et l’émotion particulière qu’il allait y rencontrer.

Il était plongé dans la « Prière pour le bon usage des maladies ». Ces phrases unies, d’une densité de liquide lourd, coulaient jusqu’à son cœur, dont la malléabilité sentimentale l’étonnait, presque du même mouvement dont il absorbait l’air pur. Elles frappaient sur lui des chocs légers, de petits sursauts de contrition douce, des demi-regrets de