Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/16

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-sus porteurs de brocs en pierre d’où coulait un filet d’eau frais et éternel.

Cette rue baignait dans un tel silence qu’on était presque confus du bruit de ses pas. Des pépiements d’oiseaux jaillis de jardins invisibles filaient le long des corridors qui s’amorcent aux portes cochères, sortaient dans la rue comme des enfants joyeux. Ils perçaient l’air, les oreilles, le bruit des filets d’eau, toutes les choses perçables, de mille petites aiguilles dorées.

M. Méridier expliqua que la fontaine avait été bâtie voilà bien longtemps, bien longtemps, à une époque où les plus vieilles gens que connaissait Augustin n’étaient pas encore nées, ni les grands-pères de ces vieilles gens, ni les grands-pères de leurs grands-pères. Augustin suggéra que ce pouvait être au temps des Gaulois, qui personnifiaient pour lui la plus reculée préhistoire. Papa assura que ce n’était pas tout à fait aussi lointain. Cette époque, dit-il, s’appelait Renaissance et les brocs se nommaient des urnes. Augustin regarda son père, sentit les premières houles d’une science immense et qu’une forte main l’y maintenait à flot.

Brusquement, sans que rien fît prévoir cette volte hardie, M. Méridier pénétra dans un des vieux hôtels.

Comme en un long tunnel, au bout de ce corridor par où venaient les chants d’oiseaux, Augustin aperçut un énorme portail double, cintré, tout en vitrages. Un vantail était ouvert. Ses petits carreaux interposaient un treillis noir sur des verdures de jardin. Près de ce vantail, un homme allait et venait en bras de chemise avec une nonchalance indolente ; mais en même temps, il sifflait un air gaillard qui s’accordait mal avec le bruit paresseux de ses sabots sur les dalles. On sentait une odeur de fumier de cheval.

D’une haute porte couleur chocolat, percée dans le corridor, sortit une paysanne en bonnet tuyauté tout semblable à celui de la grosse Catherine. Mais tandis que celui-ci provenait visiblement du même terreau rural sur lequel la grosse Catherine avait elle-même poussé, l’autre, posé sur