Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/160

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restait ses autres enfants. Mais que voulez-vous ? cet amour a ceci de particulier qu’il foisonne autour d’un fils comme s’il existait seul. Et celui-là était le confident, l’intellectuellement, l’intimement préféré. C’est plus tard qu’Augustin comprit ces choses, dans le détail des reconstitutions posthumes. Sur le moment, il ne sentit rien que le tendre et sauvage baiser d’une moustache mouillée.

Le camarade en uniforme qui le guidait coupa court à toute explication d’état civil scolaire.

— T’es en Cagne ? Moi aussi.

Il lui précisait la topographie nocturne :

— Ça, c’est la cour grand A… C’est notre cour.

Il dardait sur lui les charbons luisants cachés dans ses yeux, à chaque bec de gaz rencontré.

— Comment t’appelles-tu ? finit-il par demander.

Puis sur sa réponse et l’indication de son ancien lycée :

— Ah ! c’est toi, le prix de philo ? Ainsi la vie de camaraderie, rude et insentimentale, dévora les restes de l’adieu.

L’étude lâchait des hurlements par toutes ses fissures. Le nouveau venu y plongea en nageur.

Augustin ne fit qu’ajouter un garçon long et maigre à la série des isolés sur la frange de cette houle. Le chemin du dortoir lui montra une heure plus tard d’autres corridors en pierre de taille, une autre cour dont il ne sut si elle était aussi dédiée à quelque majuscule, et ce même papillotement de gaz jaune, que chaque tournant d’escalier passait au suivant comme pour un jeu.

Dès qu’il connut l’horaire des classes, Augustin répartit son temps avec la joie de nouveaux mariés plaçant leurs meubles. L’immense travail ne lui avait jamais paru plus fraternel. Chez son père, il n’était que la meilleure partie de lui-même. Ici, il absorbait sa vie tout entière ; il était sa respiration, sa nourriture, ses amours. Augustin se languissait loin de lui. L’acquis grandissait automatiquement,