Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/177

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Il vint dans les dernières semaines de mai, à une classe de grec du bon M. Poiret qu’on appelait le père Poiret. Un domestique entra porteur de deux chaises, suivi d’un vieux monsieur robuste et voûté, encore très vert, au visage vigoureux et bon.

— Ah ! dit M. Poiret en se levant, voici M. Lachelier.

C’était sa dernière année d’inspection générale, qu’il conduisait aussi bien en lettres pures qu’en philosophie. Le vieillard illustre et si simple s’assit sur l’une des chaises dont l’autre resta vide, tout seul, familièrement.

— Ah ! c’est Œdipe-Roi qu’on explique ? Eh bien ! mes enfants, continuez. Je serai content de l’entendre.

Tous les élèves le fixaient d’une curiosité passionnée qui ne se déguisait pas. Lui leur riait, comme un grand-père.

Le père Poiret le désignait des yeux :

— Donnez donc un texte à M. l’inspecteur, voyons !

— Oh ! dit le grand philosophe, avec une bonhomie paternelle, les vieilles gens de mon temps savent ça par cœur.

Comme Augustin, tout près de lui, tendait son livre :

— Vous aussi, lui dit-il, bienveillant et amusé, vous savez peut-être cela par cœur ?

C’était la fameuse strophe chantée par les vieillards thébains, où l’homme ne connaît d’autre bonheur que celui de se croire heureux.

— Au moins ce passage, fit Augustin rougissant.

Bien qu’il n’eût jamais cessé de compter sur une préparation de deux années, Augustin se présenta dès la première, parce que c’était la tradition.

Le concours commençait en juin. On attendait, jusque vers la fin de juillet, le résultat de l’admissibilité dans des conditions inhumaines, parmi d’affreux jours torrides et anxieux. Le ciel se teignait tous les soirs d’un même rose orangé, qu’on levait sans doute comme une nappe pour