Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/181

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coloré donnait à Augustin le spectacle d’une vie assez charmantes et d’une jeunesse qu’il ne connaissait pas. Des allusions aux cafés du quartier traversaient l’air. Les courses de Longchamp et d’Auteuil, des préoccupations d’examens, des noms de camarades, remuaient ensemble, mêlés de grands rires, pleins d’insouci et de banalité. Des retours ultérieurs en province se pressentaient : le souvenir de joies crues et fortes s’atténuerait lentement dans des études de notaires ou d’avoués, ou des cabinets de médecins. La vie professionnelle laissait déjà passer, par l’entrebâillement de ses fenêtres, de gros espoirs de politique, de beaux mariages et d’argent.

Des questions s’échangeaient sur des termes techniques : les servitudes réelles — les naturelles, les légales et celles du fait de l’homme. Nul ne doutait qu’elles n’existassent véritablement au sein des choses, comme des espèces chimiques ou des cristaux. Il s’agissait seulement de les décrire, de compter le nombre d’arêtes, dix-huit à vingt sans doute, dont les avait, en les créant, munies la nature.

Augustin saisit également, au vol, des appellations d’un latin technique jamais bien expliqué dans ses dictionnaires, et qui l’inquiétèrent ; on parlait d’actio fiduciae directa et contraria, de condictio certae pecuniae. Comme il jetait un regard oblique sur un petit livre de droit élémentaire pour le reconnaître en remontant la rue Soufflot, son dos fléchit sous un heurt plat. Trois garçons riaient silencieusement.

— Et il a fallu deux ans pour qu’on le retrouve ! cria Marguillier.

Il était élargi d’épaules, vêtu de clair, épanoui, avec d’inattendus détails de toilette, une cravate feuille morte raffinée, un feutre élégant sur ses cheveux hirsutes de jadis. Tous les traits de l’ancien Marguillier se montraient les mêmes et différents, recoupés à d’autres gabarits, bénéficiaires d’une transfiguration discrète et somptueuse, teints d’une sorte de lumière. L’air plus jeune que quand il était jeune, il portait sur son front, ses yeux, ses lèvres, un ensemble de plaisir et de gloire, mêlé d’une troisième