Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/29

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rencontre, posé, dans les premiers moments, contre un rideau de forêts, puis déblayé, perçant, dressé tout seul, rural et gris de tuile, dans la poussière du soleil, annonciateur et partie du hameau fin d’étape, on voyait enfin le clocher.

Nous sommes à La Borie des Saules. C’est La Borie des Saules. Il faut un certain nombre de répétitions pour se pénétrer de cette vérité. Importante et ridicule, compensant la marche au pas dans la longue campagne, la diligence commence un petit trot triomphal. Elle retrouve à la fin la vitesse du départ. Le milieu s’absorbe et disparaît entre ces deux extrémités étincelantes.

La diligence roule désormais devant maintes choses rangées sur le bord de la route. Les hameaux projettent ces objets devant eux, en grand nombre, de chaque côté des chemins vicinaux, pour que les voyageurs connaissent leur approche, les prennent peut-être pour des sous-préfectures, au moins pour des chefs-lieux de canton, et conçoivent de l’estime pour eux. On voit là des lessives sur les carrés de prairie ; des troncs d’arbre écorcés, empilés, marqués de lettres rouges par le marchand de bois ; une machine à battre rangée pour la nuit ; de méfiants matous errant dans les jardins ; des charrues et des roues avoisinant les hangars d’un charron-forgeron ; un cortège de poules et d’oies qu’on dérange ; et aussi des casseroles rouillées, jetées dans les orties avec de vieilles chaussures et d’autres détritus innommés.

Qui réfléchit, découvre immédiatement qu’il y a deux La Borie des Saules. D’abord cet ensemble d’objets sans prestige, qui voudraient bien se faire englober sous ces syllabes délicieuses ; — et puis la réalité cachée, voilée mais substantielle, qui se dissimule sous leur timbre pur. Vous sentez tout de suite que c’est un nom doré, joyeux, avec une inexprimable nuance de soir. On ne la perçoit que lorsqu’on prononce, avec le velours qui convient, cet o plein de soleil jaune et d’un sentiment triste et doux qui est ce