Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

facile de découvrir quel est le changement profond, fondamental, celui qui fait qu’on se sent vraiment dans la grande forêt !

Augustin remarque tout de suite cette curieuse couleur de jour qui s’est mis à brunir, à ressembler presque au bord de la nuit. Tandis que dans les pays ordinaires, les pays de plaines qu’il connaît, l’air du crépuscule devient tout à fait sombre au bout d’une demi-heure, on peut ici plonger indéfiniment dans ce soir vert et fauve. Mais vous sentez bien que ce n’est pas l’essentiel. C’est un accessoire très important, mais ce n’est pas l’essentiel.

Des deux côtés de la route, entre les premiers troncs d’arbres, ces sous-bois immédiats, rieurs et mordorés ont l’air de cligner de l’œil et de dire : « Oui, mais derrière nous… derrière les enfoncements qui suivent notre première obscurité rousse… et plus loin derrière ceux-là… et derrière les autres, encore !… » Augustin répète : « les gorges… la grande forêt… la grande forêt des gorges… » pour faire chaque fois prendre à son esprit un plus grand élan vers la confidence suprême. Certes, l’insuccès d’efforts semblables pour La Borie des Saules est décourageant et d’un mauvais exemple. Mais le secret de la grande forêt, plus gonflé du dedans, est plus près de s’ouvrir.

Cependant des beautés très simples respiraient autour de la route. Augustin eût déjà pu s’en apercevoir si, au lieu de se préparer pour une image unique et merveilleuse, il se fût ouvert aux immédiats bonheurs. Par exemple, on sentit une fraîcheur toute spéciale, qui ne se contentait pas de baigner vos joues et votre front ou de remonter le long de vos bras, tel le froid de l’eau froide ou celui de l’hiver. C’était une fraîcheur que des odeurs traversaient.

Elle vous portait à respirer des champignons, des résines et des fraises, et vous les présentait ensemble, comme pour un goûter magnifique ou bien un grand dessert.

Parfois au milieu des terreaux et des sèves, sur la surface bien fondue de leur parfum, on percevait l’odeur granuleuse, artisane et humble de la sciure de bois. Elle vous