Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/81

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ment ce soir, dans ses nerfs et dans son cœur ? D’habitude, c’est beaucoup plus simple. S’il est joyeux, s’il est triste, il dit : « je suis joyeux », ou « je suis triste » ; mais cette douceur violente, ce cœur gonflé à pleurer, cette sorte d’absurde trouble à cause de… ? Oui, précisément, à cause de quoi ?… Augustin ne l’a jamais senti encore… Il sangloterait de ne pas savoir où tend son désir.

C’est sans doute de la fièvre, tout simplement. Ou encore de l’agacement. Ou peut-être aussi ce mélange de sonnerie de cor, de lune et de nuit d’été, ces choses si banales…

La nuit ! la belle nuit ! la nuit pleine et immense !… De vastes nappes de lait lunaire ont coulé sur les jardins. Quand elle se cachait derrière les maisons, la lune envoyait tout juste une tache géométrique ayant la forme de leurs intervalles, un enduit de lune posé sur le sol. Elle luit maintenant, large et royale comme dans les vers d’Éviradnus. La belle nuit !

Un vague demi-jour pénètre jusque dans la chambre, tire la serviette de l’ombre, applique sur le pot à eau convexe des lunules en vernis vif, indique onze heures un quart sur la petite montre d’acier.

Parce que le temps employé aux besognes courantes, aux textes de difficulté dite moyenne, fut nécessairement très court pendant toute sa classe de première, Augustin eut le loisir de meubler ses chambres intérieures avec lenteur, choix et délice.

Une certaine déception se mêlait au délice.

Le nouveau professeur, M. Bougaud, juste sorti de l’École normale, annonçait son dessein d’insister sur ce qu’il appelait la partie idées de l’histoire littéraire, le libéralisme universitaire devant ouvrir à toutes un cœur aéré, des bras pleins d’accueil.

Quelque chose de vague et d’ambitieux habita précisément cette partie idées. Les généralités dites « philoso-