Page:Malègue - Augustin ou le Maître est là, tome I.djvu/89

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de sonner Matines, celui qui ferait le Jacques était tout trouvé. Vaton, dédaigneux, aurait continué de balancer de droite à gauche en inclinaisons alternées, son buste et ses deux mains jointes. Il battait une sorte de mesure, — « comme ça », — expliquait Appiat. Assis sur ses deux talons, la pointe des pieds et les deux genoux portant sur le sol, Appiat ressemblait à un fakir. Il pouvait être entre minuit et une heure du matin. Mais Vaton démentit tout ce récit.

Trois mois après, tout changea. M. Bougaud parlait, cette fois, de la philosophie politique en France aux XVIIIe et XIXe siècles. Vaton n’avait, bien entendu, rien lu de Saint-Simon, ni de Fourier, ni de Proudhon. Il fit sa crise avec quelques extraits de Michelet et de Quatre-vingt-treize. Elle prit la forme d’une tragédie en cinq actes.

Le héros (ce serait sans doute Savonarole ou quelque personnage hussite, ou peut-être maure, Vaton n’était pas fixé) était brûlé vif par l’inquisition. Il proférait en mourant des prophéties socialistes, d’ailleurs couvertes par le crépitement du feu. Marguillier mit la main sur un des brouillons, où l’on pouvait lire, parmi les ratures, des vers dans le ton des Châtiments.

Ma haine des tyrans sort, comme une huée,
Des gouffres de l’esprit que sonde le songeur.

Marguillier trouvait cela « pas trop mal ».

Le prophète promis aux bûchers aimait une jeune fille douce, triste, et un peu folle. Vaton n’avait pas encore décidé dans quel lac de montagne elle trouverait la mort, après l’autodafé de son amant. Quoique en cinq actes, le poème devait comporter quatre cents vers au plus. La jeune fille s’appelait Pâquerette. L’exposition expliquait pourquoi :

Son cœur est d’or, sa robe est blanche.

Augustin conclut brutalement que Vaton n’était qu’un sujet d’études pour psychiatre. Mais, indifférent aux lazzis