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SACRIFICIÜM VESPERTINUM


— Je n’en parle pas assez doucement, avec la gratitude qu’il faut…

Le grelot des traîneaux s’était tu.

Le cou et la tête abandonnés en arrière, dans un traversin mou qui épousait sa nuque, Augustin semblait écouter une extraordinaire absence de vie qui pénétrait le sanatorium et la rue. Le relief des rares bruits s’enchâssait dans une immense ouate inerte.

Quand prit fin le mutisme nécessaire, Largilier le vit tourner vers lui son sourire livide :

— C’est là que je me relie à toi.

Le Jésuite chercha à comprendre, fit le geste de toute ignorance : élever les sourcils sur un visage étonné.

— Mais si. Tu m’as dit : « Dieu ne laisse périr aucune âme de bonne volonté. Il enverrait plutôt un ange. » Tu te rappelles ?

Largilier ne se rappelait pas exactement ; mais telle était bien la pensée de saint Thomas.

— Oui, enfin ! dit Augustin avec un certain ressentiment mélancolique.

Eh bien ! j’ai senti la présence de l’ange. Je n’ai pas eu un amour de brute, tout lyrisme et musique.

Ce me fut une nuit d’enivrement religieux, une nuit pleine de Dieu, une nuit de résurrection, mes Pâques, le sommet des béatitudes terrestres, plus un grand feu jeté par les autres.

Je sentais une sorte d’épouvante que Dieu daignât s’occuper de moi individuellement. Une fulguration à moi destinée, portant mon nom et mon adresse, traversant tous les déterminismes, perçait mon cœur au point juste. Le grand texte classique : « telle goutte de sang pour toi », je le transformais : « pour toi, telle étincelle du buisson ardent ». Même les mots qui l’appelaient elle seule, rendaient le son de Dieu : « Tu m’as ravi le cœur, ma sœur fiancée, d’un seul de tes regards, d’une seule des perles de ton collier… Détourne de moi tes yeux car ils me troublent »… Natu-