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produire, il serait si contraire au naturel de l’homme qu’on devrait le considérer comme un cas de folie quelconque.

Et n’en doutez pas : la réprobation publique contre la paresse ne manquerait pas de se produire, parce que le travail est le premier besoin d’une société ; le paresseux non seulement ferait du mal à tous en vivant sur le produit des autres, sans contribuer par son travail aux besoins de la communauté, mais il romprait l’harmonie de la nouvelle société et serait l’élément d’un parti de mécontents qui pourrait désirer le retour au passé. Les collectivités sont comme les individus : elles aiment et honorent ce qui est ou qu’elles croient utile ; elles haïssent et méprisent ce qu’elles savent ou croient nuisible. Elles peuvent se tromper et se trompent même trop souvent ; mais, dans le cas dont il s’agit, l’erreur n’est pas possible, parce qu’il est de toute évidence que celui qui ne travaille pas, mange et boit aux dépens des autres et fait du tort à tous.

Pour faire la preuve de cela, supposez que vous êtes associé avec d’autres hommes pour faire en commun un travail dont vous partagerez le produit en parties égales ; certainement alors vous aurez des égards pour ceux de vos compagnons qui seront faibles ou inhabiles ; mais quant au paresseux, vous lui rendrez la vie tellement dure qu’il vous quittera ou aura bientôt envie de travailler. C’est ce qui arrivera dans la grande société, alors que la fainéantise de quelques-uns pourra produire un dommage sensible.

Et puis, à la fin du compte, si l’on ne pouvait marcher de l’avant, à cause de ceux qui ne voudraient pas travailler, ce que je crois impossible, le remède sera facile à trouver ; on les expulsera, parbleu, de la communauté. Alors, n’ayant droit qu’à la matière première et aux instruments de travail, ils seront bien forcés de travailler s’ils veulent vivre.

Jacques. — Tu commences à me convaincre ; mais dis-moi, tous les hommes seraient-ils obligés de travailler la terre ?

Pierre. — Pourquoi cela ? L’homme n’a pas besoin seulement de pain, de vin et de viande ; il lui faut aussi des maisons, des vêtements, des livres, en un mot tout ce que les travailleurs de tous les métiers produisent, et personne ne peut pourvoir seul à tous ses besoins. Déjà, pour travailler la terre, est-ce que l’on n’a pas besoin du forgeron et du menuisier qui font les outils, et par suite, du mineur qui déterre le fer et du maçon qui construit les maisons, les magasins et ainsi de suite ? Donc, il n’est pas dit que tous travailleront la terre, mais que tous feront des œuvres utiles.

La variété des métiers permettra d’ailleurs à chacun de choisir l’œuvre qui lui conviendra le mieux et ainsi, du moins dans la mesure du possible, le travail ne sera plus pour l’homme qu’un exercice, qu’un divertissement ardemment désiré.

Jacques. — Donc chacun sera libre de choisir le métier qu’il voudra ?

Pierre. — Certainement, en ayant soin que les bras ne se portent pas exclusivement sur certains métiers et ne manquent pas à d’autres.