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à leurs propriétés. Mais il ne faut pas penser à cela, vous le savez.

Tant qu’existera la propriété individuelle, c’est-à-dire tant que la terre, au lieu d’appartenir à tous, appartiendra à Pierre ou à Paul, il y aura toujours de la misère et tout ira de mal en pis. Avec la propriété individuelle, chacun cherche à tirer l’eau à son moulin et les propriétaires, non seulement, tâchent de donner aux travailleurs le moins qu’ils peuvent, mais encore se font-ils la guerre entre eux : en général, chacun cherche à vendre ses produits le plus qu’il peut et chaque acheteur, de son côté, cherche à payer le moins possible. Alors, qu’arrive-t-il ? C’est que les propriétaires, les fabricants, les grands négociants, qui ont les moyens de fabriquer et de vendre en gros, de se pourvoir de machines, de profiter de toutes les conditions favorables du marché et d’attendre, pour la vente, le moment favorable, et même de vendre à perte pendant quelque temps, finissent par ruiner les petits propriétaires et négociants, qui tombent dans la pauvreté et doivent, eux et leurs fils, aller travailler à la journée. Ainsi (et c’est une chose que nous voyons tous les jours) les patrons qui travaillent seuls, ou avec peu d’ouvriers, sont forcés, après une lutte douloureuse, de fermer boutiques et d’aller chercher du travail dans les grandes fabriques ; les petits propriétaires, qui ne peuvent même pas payer les impôts, doivent vendre champs et maisons aux grands propriétaires, et ainsi de suite. De telle sorte que si un propriétaire ayant bon cœur voulait améliorer les conditions de ses travailleurs, il ne ferait que se mettre en état de ne plus pouvoir soutenir la concurrence ; il serait infailliblement ruiné.

D’autre part, les travailleurs, poussés par la faim, doivent se faire concurrence entre eux, et, comme il y a plus de bras disponibles qu’il n’en faut pour le travail à faire (non pas que le travail au fond manque, mais parce que les patrons ont intérêt à ne pas faire travailler davantage), ils doivent mutuellement s’arracher le pain de la bouche et, si vous travaillez pour telle ou telle somme, il se trouvera toujours un autre ouvrier qui fera à moitié prix la même besogne.

C’est grâce à cette situation que tout progrès même devient un malheur. On invente une machine ; aussitôt un grand nombre d’ouvriers restent sans travail ; ne gagnant plus, ils ne peuvent pas consommer et ainsi, indirectement, ils enlèvent du travail à d’autres. En Amérique, on met maintenant en culture d’immenses espaces et l’on produit beaucoup de grain ; les propriétaires de là-bas, sans s’inquiéter, bien entendu, de savoir si en Amérique les gens mangent à leur faim, envoient le blé en Europe pour gagner davantage. Ici, le prix du blé baisse, mais les pauvres, au lieu d’être mieux, s’en trouvent plus mal, car les propriétaires, ne pouvant s’arranger de ce bon marché, ne font plus cultiver la terre ou font seulement travailler la petite partie où le sol est le plus productif ; par suite, un grand nombre de travailleurs restent inoccupés. Le blé coûte peu, c’est vrai, mais les pauvres gens ne gagnent même pas les quelques sous qu’il faut pour en acheter.

Jacques. — Ah ! maintenant, je comprends. J’avais entendu dire qu’on