Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/10

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reporté sur moi toute leur affection, m’entourant de soins excessifs. C’est au point que, à un âge où d’autres adolescents jouent déjà au petit crevé, je ne sortais jamais seul dans la rue et tournais un quart d’heure la langue dans ma bouche avant d’oser m’adresser directement à qui que ce fût. La lecture des épopées classiques puis des merveilleux romans de chevalerie, enfin de Jules Verne et du capitaine Mayne-Reid, m’avait enflammé de bonne heure ; je m’étais rêvé bien des fois combattant le grizzly ou le congouar ; pendant le siège et la Commune, je brûlais de faire le coup de feu et avais, à cet effet, harcelé mes parents de mes insistances réitérées, mais je serais mort de honte plutôt que de laisser échapper la moindre expression risquée. « Fi donc, Charles ! tu parles comme un homme du peuple ! » m’aurait dit ma bonne grand’mère.

Comment, avec ces timidités, imputables surtout au milieu et à l’éducation, ai-je pu rompre plus tard en visière avec tout ce qui est lois, usages, conventions, et devenir un de ces farouches anarchistes qui se proposent très sincèrement de retourner la société comme une omelette ? Il a fallu pour amener pareille transformation, que le dégoût de cette société fût bien fort et la supériorité des idées perturbatrices bien manifeste.

Cependant, quelque éloigné de Ravachol que je fusse alors, j’avais déjà, peu avant l’époque où commence ce récit, commis mon acte individuel.

Mon père, poursuivi beaucoup plus pour son passé révolutionnaire en Italie que pour le rôle assez modeste quoique ferme, qu’il joua pendant la Commune, n’avait été l’objet, au début, que d’un simple arrêté d’expulsion. Au lieu de s’y conformer, il déménagea, pour la sixième