Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/103

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Pauvres insulaires ! on les a tellement bien civilisés que rien n’égale leur fierté, lorsqu’ils peuvent dire ou écrire cette phrase empruntée au vocabulaire de leurs professeurs blancs : « Je suis soûl comme un cochon ! »

Némoin, qui avait été alternativement planton de bureau, cuisinier, marin, avant de commander ses compatriotes enrôlés dans la police, avait appris beaucoup de choses et pouvait presque parler de omni re scibili. Je lui ai expliqué la théorie du télégraphe électrique, la production des courants par l’action chimique de la pile. Sur cent de nos paysans, quatre-vingts, au moins n’y auraient rien compris : lui saisissait tout.

Les indigènes ne fournissaient pas le personnel de la seule police, mais aussi celui des canotiers, là où il y avait une embarcation à la disposition du chef de poste, et celui des courriers et plantons de télégraphe. Mon bureau étant, après Nouméa, le plus surchargé vu le mouvement des mines, on m’avait octroyé deux facteurs indigènes : Coumoni, que j’ai regretté sincèrement, et Péronéva, moins intelligent mais qui n’était féroce que dans l’ivresse. Il avait alors une désagréable manie : c’était de vouloir tuer un Malabar. Je lui arrachai, un jour, le couteau des mains et, ne sachant que faire de mon incommode sous-ordre, l’envoyai porter une prétendue dépêche au commissaire de police. Ce message que le pauvre Péronéva alla présenter en toute candeur, contenait simplement ces lignes : « Vous voyez dans quel état se trouve mon Canaque, je vous prie de le loger à la carabousse et de ne l’en laisser sortir que dès qu’il aura cuvé son rafia. » Le lendemain matin, mon facteur me revint dégrisé et souriant du tour que je lui avais joué. Cet attentat à l’imprescriptible liberté