Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/21

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Tout d’abord, grouillait un lot de Marseillais aventureux et bruyants, séduits par les légendes qu’on faisait circuler en France sur la colonie océanienne. À en croire les impudentes petites brochures répandues à profusion, c’était pour les habiles, munis du moindre capital, la fortune à bref délai et pour les ouvriers désargentés, mais travailleurs, tout au moins l’aisance.

Combien, ils ont dû en rabattre de ces beaux contes !

Un des plus étranges était le père Marc, quinquagénaire grand, sec et nerveux, qui avait écoulé la plus grande partie de sa vie en voyages et en aventures dans les deux Amériques. Il avait eu des hauts et des bas ; pour le moment, il n’avait même pas de chaussettes. Judicieusement, alors, il s’était dit que crever de faim pour crever de faim, mieux valait que ce fût en voyageant pour tenter la chance une fois de plus. Le gouvernement cherchait à peupler les colonies et, afin de débarrasser la métropole d’un contingent de malheureux qui eussent pu devenir redoutables, leur donnait des facilités pour s’expatrier. Marc avait réussi à obtenir gratuitement le passage et l’entretien à bord, de Brest à Nouméa, en qualité d’émigrant indigent. Il pensait que si, en Nouvelle-Calédonie, la fortune ne le favorisait pas, il en serait quitte pour adresser aux autorités une demande de rapatriement. C’est, en effet, ce qu’il dut faire par la suite : quelques mois plus tard, nous le vîmes revenir de Téremba à Nouméa, minable, émacié, vêtu d’une soutane trouée qu’un missionnaire lui avait abandonnée par compassion.

Plusieurs autres revinrent comme lui de la brousse, maudissant la crédulité qui leur avait fait ajouter foi aux racontars officiels. Quelques-uns tâchèrent de se caser à