Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/70

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serpentins, je fus gracieusement invité par les patrons, MM. Van Oklum et Malan, à rincer les bouteilles.

Je lâchai ce travail, honorable sans doute mais peu intellectuel, pour un autre plus dans mes cordes. Notre boulanger avait deux fils dont l’éducation, reçue à l’école des frères, laissait à désirer : il voulut bien me les confier et, in petto fier autant qu’ému d’avoir des élèves, je m’efforçai d’inculquer à leur jeune intelligence les beautés de mon répertoire classique. Le fils d’un ami déporté vint augmenter le nombre de mes disciples et mon ardeur professorale s’en accrut. Comme un vrai serin, au lieu de tirer à la leçon, je n’avais de trêve que mon jeune troupeau n’eût sauté à pied par dessus les obstacles les plus ardus : réductions de fractions, degrés de longitude et de latitude, règles des participes passés. Grâce à ce beau zèle, les parents m’adressèrent force compliments et me retirèrent bientôt leurs enfants, les jugeant suffisamment instruits et utilisables.

Un brave bibliothécaire, honnête et indépendant, aussi quoique personnellement estimé du chef de la colonie, est-il mort dans une situation modeste, m’avait déjà offert son appui pour entrer dans une administration publique. Nous avions, jusqu’alors, décliné cette offre, pensant que la nomination d’un fils de déporté à un emploi d’expéditionnaire ou de piqueur des ponts-et-chaussées ne pourrait que donner lieu à de fâcheux commentaires. On se montrait fort soupçonneux parmi les nôtres et bien des pauvres diables étaient tenus à l’œil pour le simple fait de n’avoir jamais pâti de la mauvaise humeur de nos capricieux geôliers. Je renonçai donc à m’armer de la plume et de l’équerre, mais une autre porte s’ouvrit bientôt devant moi. Une mission