Page:Malato - De la Commune à l'anarchie, Tresse et Stock, 1894.djvu/77

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les éléments quand ils s’y mettent pour de bon ; un cyclone, annoncé par une forte dépression barométrique, s’était abattu sur la colonie, la balayant du nord au sud, déracinant les plus gros arbres, obstruant les routes, jetant bas comme de frêles châteaux de cartes, les maisons de Nouméa, qu’on était contraint d’attacher avec de gros câbles, de peur qu’elles ne prissent la fugue dans cette valse générale. Le déchaînement de la mer répondait au déchaînement du ciel : que de bateaux furent jetés à la côte et broyés ou engloutis au large dans le tourbillonnement éperdu des flots ! Ma mère, qui avait encore ce spectacle devant les yeux, contemplait avec angoisse la ligne bleue qui limitait notre regard et notre liberté. Ce fut avec une émotion profonde qu’elle me donna ses conseils et fourra du chocolat dans ma valise ; mon père y inséra entre un trousseau et une paire de chaussures une vieille bouteille de Torino ; tous deux recommandèrent chaleureusement mes dix-huit ans à l’expérience de mon compagnon de voyage, et après des adieux pathétiques rappelant ceux de Robert-Robert à sa famille (voir l’intéressant et moral roman de Louis Desnoyers), je pris place dans la chaloupe de la Seudre.

L’équipage de cette frégate était non breton mais provençal, comme on s’en apercevait forcément dès le premier pas fait sur le pont. Plus de « Ma Doué[1] ! » mais des « Troun de l’air ! » en veux-tu, en voilà, une animation, un entrain incessants. Peut-être, si cela avait duré cinq mois, m’en serais-je fatigué autant que de la lourdeur des marins du Var, mais n’étant resté que deux

  1. Mon Dieu.