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VI

UN OUBLIÉ


Le choc qu’éprouva Bernin en reconnaissant Galfe, Galfe le ressentit en reconnaissant Bernin.

Moins intense, cependant, ou fait d’un sentiment différent.

Chez Bernin, c’était de la peur, une épouvante instinctive, non maîtrisable, en revoyant l’homme qu’il avait dénoncé et fait condamner.

Chez Galfe, c’était autre chose.

C’était la brusque évocation de toute une vie antérieure : Mersey, le travail aux mines, sa cabane du bois de Varne et, par-dessus tout, la figure de Céleste Narin, qui planait sur ce passé.

Dix ans s’étaient écoulés depuis que la destinée avait séparé le tout jeune homme d’alors et la jeune fille à peine devenue femme. Dix ans pendant lesquels, autour de Galfe, s’étaient déroulés les vices, les tortures, les crimes du bagne, les épouvantables amours des fauves humains qui l’entouraient, le fouet, la bastonnade, les coups de revolver des surveillants ; dix ans pendant lesquels il avait eu les yeux pleins de visions d’horreur, les oreilles pleines de cris furieux, de râles et de sanglots.

Et pendant cette submersion de son être dans un indescriptible enfer, tel que pour lui la notion du temps n’existait même plus, l’image de Céleste n’avait pas cessé un seul jour d’être présente à son esprit !

C’était la seule vision qui pût affaiblir l’horreur du bagne et il s’efforçait de concentrer en elle toute sa pensée pour ne pas voir ce qui l’entourait. Ainsi, indifférent à la vie extérieure, les yeux fixes, perdu dans la contemplation de son rêve, était-il devenu une sorte d’automate, de cadavre vivant. Ses compa-