Page:Malato - La Grande Grève.djvu/330

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dait pour remplacer l’équipe de jour qui venait de remonter. Pareil à l’antique Moloch, le dieu noir, au fond de ses abîmes, ne cessait de dévorer de la chair humaine.

De tous les points de Mersey, où s’était répercutée la clameur d’épouvante, on se précipitait vers la mine. Bernard se trouva tout à coup au milieu d’une foule compacte qui battait de son flot vivant les chantiers extérieurs, gardés par un barrage d’agents de police et de gendarmes.

Le puits Saint-Eugène ! Bernard le connaissait pour y avoir travaillé pendant trois semaines au cours desquelles l’exploitation du puits Saint-Pierre avait été interrompue par un éboulement. Il avait noté l’insuffisance d’aérage, l’étroitesse des galeries latérales, à partir du deuxième plan, le mauvais état des boisages. Le syndicat avait d’ailleurs adressé à ce sujet un mémoire respectueux à la direction. Mais celle-ci n’en avait pas pris note : elle avait horreur des travaux inutiles, c’est-à-dire coûtant de l’argent et interrompant l’extraction. Que pouvaient, au surplus, lui importer quelques vies ouvrières ? Ne trouve-t-on pas toujours des meurt-de-faim avides d’offrir leurs bras pour remplacer les salariés disparus ?

D’ailleurs, les ingénieurs, à diverses reprises, avaient déclaré que tout était pour le mieux. Devant les affirmations catégoriques de ces techniciens hautement appointés, que pouvaient peser les timides réclamations des mineurs ?

Et maintenant, c’était la catastrophe ! Avait-elle été totale ou partielle, ensevelissant l’équipe entière ou seulement quelques malheureux ? Voilà ce que se demandait avec angoisse Bernard, ce qu’il cherchait en vain à savoir au milieu du concert confus des hurlements, des imprécations et des pleurs, au-dessus desquels perçaient, aigus, les cris des femmes réclamant leurs maris.