Page:Malato - La Grande Grève.djvu/358

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sion d’Ouvard, mais encore les sociétés ouvrières s’étaient, tout comme les associations réactionnaires, avec moins de bruit et d’éclat, ramifiées elles aussi dans le pays. Les mineurs, les charpentiers, les maçons, les forgerons, les carriers s’étaient groupés par professions. Groupements bien pacifiques, d’esprit bien légalitaire et même qu’on eût pu, à première vue, proclamer plus d’une fois rétrogrades ou endormeurs ! Pourtant Bernard savait que c’étaient là les forces latentes de cette révolution ouvrière dont notre époque est grosse et qui transformera le monde en changeant sa base économique, closant par un formidable coup de tonnerre l’évolution d’un siècle. Il savait que ces forces, en apparence sommeillantes, pouvaient, sous l’impulsion des événements, non seulement s’éveiller, mais encore devenir terribles, pourvu qu’elles eussent chacune leur centre d’énergie.

Ces centres d’énergie, elles les possédaient : le syndicat des mineurs avait Ouvard, celui des charpentiers, Boislin ; celui des mécaniciens, Dupert ; celui des forgerons, Bessier ; celui des carriers, Nicolle. Tous étaient des hommes convaincus, ayant de la résolution au cœur, une idée dans la tête.

Et cette idée était celle qui, exposée par Bernard à ses amis, propagée par les militants ouvriers, se répandait peu à peu dans les cerveaux, s’étendait insensiblement sur toute la contrée comme une tache d’huile :

La grande grève !

Le mot s’infiltrait partout comme une source mystérieuse, invisible, suscitant les vagues espoirs des uns, la confiance presque superstitieuse des autres, comme si cette grande grève eût dû être la suprême justicière. On eût pu retrouver dans ce sentiment le mysticisme des déshérités qui, assoiffés de revanche, entrevirent jadis dans le Jugement dernier une lointaine révolution sociale ayant Dieu pour acteur.