Page:Malato - La Grande Grève.djvu/402

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Bernard détourna les yeux : ce spectacle ne lui causait aucune joie cruelle. Ouvard le vit sur le point d’élever la voix pour crier : « Assez, camarades ! » il le retint, posant le bras sur sa poitrine.

— Laisse, dit-il, il faut que la dégradation du mouchard soit complète, qu’on connaisse les risques du métier et que la Compagnie ne trouve plus si facilement de gardes-chiourmes pour le remplacer.

Et se tournant vers Détras :

— N’est-ce pas ton avis ?

Dans les moments violents où les hommes se sentent solidaires, le tutoiement jaillit des lèvres, tout naturellement.

— Certes, dit Détras, et il faudra bien autre chose encore !

Moins théoricien que Bernard, il avait depuis longtemps médité sur ce que sera la révolte finale du prolétariat : celui-ci brûlant ses vaisseaux, se compromettant de telle manière que le réveil des vieilles habitudes de soumission, l’agenouillement devant l’autorité patronale et le retour servile à l’usine fussent rendus impossibles.

Il voyait la réédition dans un autre cadre des actes terribles qui ont marqué la Révolution de 1789 et toutes les révolutions non de surface, mais de fond, remuant la société jusque dans ses entrailles. Il voyait les ouvriers expropriant, s’emparant des mines, des usines, des machines, écrasant sans hésitation les patrons qui voulaient résister ; faisant appel pour attaquer ou se défendre aux moyens les plus formidablement destructeurs. Qu’était-ce auprès de cela que la fustigation d’un Michet !

— Il ne faut pas arrêter l’élan, même brutal, dit-il à Bernard. Autrement, ta grande grève n’aura jamais lieu.

— Oh ! maintenant, c’est forcé, murmura Ouvard.

Bernard n’insista point. Il se disait, lui aussi, que la lutte entre le capital et le travail a, comme toute