Page:Malato - La Grande Grève.djvu/420

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pathies, car ils se rappelaient combien il avait souffert pour la cause ouvrière, et l’écoutant parler avec une sorte de ferveur religieuse. Cette ferveur, loin de griser Bernard, l’agaçait et, parfois, il s’écriait brusquement :

— Mais, sacrebleu, au lieu de répondre toujours oui à ce que je dis, discutez : je n’ai pas la science infuse !

Bernard et Détras se retrouvaient avec Ouvard à la maison de Brossel. Tous trois se comprenaient, également hommes de tête et de résolution avec des caractères différents : Détras vivait en libertaire dans une société qu’il méprisait et détestait, s’efforçant de n’avoir de contact avec elle que pour la démolir ; Bernard était le collectiviste révolutionnaire, ne niant pas la beauté du rêve, mais ne s’y attardant point, toujours préoccupé des moyens pratiques pour amener le plus tôt possible l’affranchissement de la classe ouvrière et l’expropriation des capitalistes. Quant à Ouvard, que les événements mettaient en lumière, son influence sur les mineurs ne cessait de croître ; il apparaissait le laborieux tenace et lucide, avec une tendance à regarder au delà de Mersey et du syndicat.

— Prends garde, lui avait dit un jour Bernard en riant, c’est l’ambition qui s’éveille en toi. Ne va pas lâcher les camarades pour prendre ton vol vers le Palais-Bourbon.

— Qui sait ? avait répondu Ouvard sur le même ton. Mais si jamais j’y entre, ce sera pour dire leurs quatre vérités aux bourgeois.

Détras, Bernard et Ouvard formaient par le fait un triumvirat exerçant une influence morale qui s’étendait des mineurs à toute la population ouvrière de Mersey. Ils n’étaient pas toujours d’accord sur les solutions ; une discussion amicale mais chaude, dans laquelle chacun apportait son tempérament et ses