Page:Malato - La Grande Grève.djvu/473

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corde en faveur de ces pauvres ouvriers égarés. Cette démarche était toute naturelle et sauvegardait l’orgueil de des Gourdes aux yeux mêmes du préfet. L’abbé Carpion répéterait fidèlement la leçon qui lui serait apprise.

Et ce plan s’exécutait. Le préfet qui, descendu à l’hôtel de Paris, avait déjà conféré avec les députés, Paryn, Bordes et la commission de la grève, reçut la visite de l’abbé Carpion, arrivant l’œil humide, la poitrine gonflée de soupirs.

— Ah ! monsieur le préfet, ces mineurs sont de vrais païens, des malheureux qu’on entraîne avec de grands mots, de chimériques espérances. Mais ils ont des femmes, des enfants : c’est mon devoir de vous supplier d’intervenir pour ce cher troupeau qui souffre.

Le préfet n’ignorait pas que le curé de Mersey était tout entier dans la main de des Gourdes : il eut l’intuition que c’était celui-ci qui l’envoyait. Il en ressentit une satisfaction réelle : il comprenait que le directeur-gérant de la Compagnie désirait mettre son amour-propre à couvert. Quant à lui-même, il ne désirait rien tant que l’apaisement du conflit. D’abord, parce qu’un préfet aime toujours montrer au ministre duquel dépend son avancement que, grâce à sa vigilance éclairée, l’ordre règne dans son département ; puis parce que, malgré des années passées dans la carrière administrative où se dessèchent à la longue les sentiments humains, il était demeuré plutôt bon que mauvais. S’il voyait des électeurs et des contribuables bien plus que des êtres capables de vie active, de passion et d’idées, c’était la faute de son milieu rigide, tiré au cordeau ; dans un autre milieu, le fonctionnaire fût devenu entièrement un homme.

Il savait que des Gourdes le détestait : peut-être même se rendait-il compte des intrigues que celui-ci