Page:Malato - Révolution chrétienne et Révolution sociale, Savine, 1891.djvu/240

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l’accrocher au gibet : il se procura une cartouche remplie de fulminate : l’écrasa entra ses dents et tomba mourant ; les gardiens, accourus à l’effroyable détonation, le trouvèrent étendu dans une mare de sang et la tête épouvantablement fracassée. Les autres marchèrent au supplice en entonnant la Marseillaise, comme les premiers chrétiens descendaient dans le cirque en répétant des cantiques. « Salut, s’écria Spies, temps où notre silence sera plus puissant que notre parole qu’on étrangle ! » « Vive l’anarchie ! » crièrent Engel et Fischer. Parsons commençait un discours : « Hommes et femmes d’Amérique… » le bourreau l’interrompit. Quelques secondes après, quatre grands cœurs avaient cessé de battre.

Toutes les forces militaires et policières de la ville avaient été mises sur pied : le peuple, consterné, n’osa bouger. Mais l’impression fut immense, non seulement en Amérique, où ces champions du prolétariat universel furent comparés au défenseur des noirs, John Brown, pendu comme eux, mais dans le monde entier. Les révolutionnaires latins, principalement, considérèrent Spies et ses amis comme les martyrs d’une foi nouvelle, et le 11 novembre devint la date anarchiste par excellence. Enthousiasme dangereux, pour tant admirables qu’aient été les suppliciés, car il témoigne d’un religiosisme invétéré, du besoin de divinisations et d’apothéoses que n’ont pu vaincre encore les esprits les plus émancipés. Quelle bizarrerie de voir des iconoclastes élever de nouveaux autels à côté des autels abattus !