Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/116

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Si la plupart des choses que ce traité contient ne sont pas si nouvelles que celles que l’on a déjà dites en expliquant les erreurs des sens, elles ne seront pas toutefois moins utiles. Les personnes éclairées reconnaissent assez les erreurs et les causes même des erreurs dont je traite, mais il y a très-peu de personnes qui y fassent assez de réflexion. Je ne prétends pas instruire tout le monde ; j’instruis les ignorants, et j’avertis seulement les autres, ou plutôt je tâche ici de m’instruire et de m’avertir moi-même.

I. Nous avons dit dans le premier livre que les organes de nos sens étaient composés de petits filets, qui d’un côté se terminent aux parties extérieures du corps et à la peau, et de l’autre aboutissent vers le milieu du cerveau. Or ces petits filets peuvent être remués en deux manières, ou en commençant par les bouts qui se terminent dans le cerveau, ou par ceux qui se terminent au dehors. L’agitation de ces petits filets ne pouvant se communiquer jusqu’au cerveau que l’âme n’aperçoive quelque chose, si l’agitation commence par l’impression que les objets font sur la surface extérieure des filets de nos nerfs, et qu’elle se communique jusqu’au cerveau, alors l’âme sent et juge que ce qu’elle sent est au dehors, c’est-à-dire qu’elle aperçoit un objet comme présent. Mais s’il n’y a que les filets intérieurs qui soient agités par le cours des esprits animaux, ou de quelque autre manière, l’âme imagine, et juge que ce qu’elle imagine n’est point au dehors, mais au dedans du cerveau, c’est-à-dire qu’elle aperçoit un objet comme absent. Voilà la différence qu’il y a entre sentir et imaginer.

Mais il faut remarquer que les fibres du cerveau sont beaucoup plus agitées par l’impression des objets que par le cours des esprits ; et que c’est pour cela que l’âme est beaucoup plus touchée par les objets extérieurs, qu’elle juge comme présents et comme capables de lui faire sentir du plaisir ou de la douleur, que par le cours des esprits animaux. Cependant il arrive quelquefois dans les personnes qui ont les esprits animaux fort agiles par des jeûnes, par des veilles, par quelque fièvre chaude ou par quelque passion violente, que ces esprits remuent les fibres intérieures de leur cerveau avec autant de force que les objets extérieurs ; de sorte que ces personnes sentent ce qu’ils ne devraient qu’imaginer, et croient voir devant leurs yeux des objets qui ne sont que dans leur imagination. Cela montre bien qu’à l’ègard de ce qui se passe dans le corps, les sens et l’imagination ne diffèrent que du plus et du moins, ainsi que je viens de l’avancer.

Mais afin de donner une idée plus distincte et plus particulière de imagination, il faut savoir que toutes les fois qu’il y a du change-