Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/145

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ment entier. Les fibres au contraire du cerveau de l’enfant ne pouvant résister au torrent de ces esprits furent entièrement dissipées, et le ravage fut assez grand pour lui faire perdre l’esprit pour toujours. C’est là la raison pour laquelle il vint au monde privé de sens. Voici celle pour laquelle il était rompu aux mêmes parties du corps que le criminel, que sa mère avait vu mettre à mort.

A la vue de cette exécution si capable d’effrayer une femme, le cours violent des esprits animaux de la mère alla avec force de son cerveau vers tous les endroits de son corps qui répondaient à ceux du criminel[1], et la même chose se passa dans l’enfant. Mais, parce que les os de la mère étaient capables de résister à la violence de ces esprits, ils n’en furent point blessés. Peut-être même qu’elle ne ressentit pas la moindre douleur, ni le moindre frémissement dans les bras ni dans les jambes, lorsqu’on les rompait au criminel. Mais ce cours rapide des esprits fut capable d’entraîner les parties molles et tendres des os de l’enfant. Car les os sont les dernières parties du corps qui se forment, et ils ont très-peu de consistance dans les enfants qui sont encore dans le sein de leur mère. Et il faut remarquer que si cette mère eût déterminé le mouvement de ces esprits vers quelque autre partie de son corps en se chatouillant avec force, son enfant n’aurait point eu les os rompus ; mais la partie, qui eût répondu à celle vers laquelle la mère aurait déterminé ces esprits, eût été fort blessée, selon ce que j’ai déjà dit.

Les raisons de cet accident sont générales pour expliquer comment les femmes, qui voient durant leur grossesse des personnes marquées en certaines parties du visage, impriment leurs enfants les mêmes marques, et dans les mêmes parties du corps ; et l’on peut juger de là que c’est avec raison qu’on leur dit, qu’elles se frottent à quelque partie cachée du corps, lorsqu’elles aperçoivent quelque chose qui les surprend, et qu’elles sont agitées de quelque passion violente, car cela peut faire que les marques se tracent plutôt sur ces parties cachées que sur le visage de leurs enfants.

Nous aurions souvent des exemples pareils à celui que nous venons de rapporter, si les enfants pouvaient vivre après avoir reçu de si grandes plaies ; mais d’ordinaire ce sont des avortons. Car on peut dire que presque teus les enfants qui meurent dans le ventre de leurs mères, sans qu’elles soient malades, n’ont point d’autre cause de leur malheur, que l’épouvante, quelque désir ardent, ou quelque autre passion violente de leurs mères. Voici un autre exemple assez particulier.

  1. Selon la seconde supposition.