Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/167

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beaucoup de confusion et de honte à reconnaître qu’il y a des choses qu’on sait mieux qu’eux.

III. Tout ce qu’on a dit des personnes de quarante et de cinquante ans, se doit encore entendre avec plus de raison des vieillards ; parce que les fibres de leur cerveau sont encore plus inflexibles, et que, manquant d’esprits animaux pour y tracer de nouveaux vestiges, leur imagination est toute languissante. Et comme d’ordinaire les fibres de leur cerveau sont mêlées avec beaucoup d’humeurs superflues, ils perdent peu à peu la mémoire des choses passées, et tombent dans les faiblesses ordinaires aux enfants. Ainsi, dans l’âge décrépit, ils ont les défauts qui dépendent de la constitution des fibres du cerveau, lesquels se rencontrent dans les enfants et dans les hommes faits ; quoique l’on puisse dire qu’ils sont plus sages que les uns et les autres, à cause qu’ils ne sont plus si sujets à leurs passions, qui viennent de l’émotion des esprits animaux.

On n’expliquera pas ces choses davantage, parce qu’il est facile de juger de cet âge par les autres dont on a parlé auparavant, et de conclure que les vieillards ont encore plus de difficulté que tous les autres à concevoir ce qu’on leur dit ; qu’ils sont plus attachés à leurs préjugés et à leurs anciennes opinions ; et par conséquent qu’ils sont encore plus confirmés dans leurs erreurs et dans leurs mauvaises habitudes, et autres choses semblables. On avertit seulement, que l’état du vieillard n’arrive pas précisément à soixante ou soixante-dix ans ; que tous les vieillards ne radotent pas ; que tous ceux qui ont passé soixante ans ne sont pas toujours délivrés des passions des jeunes gens, et qu’il ne faut pas tirer des conséquences trop générales des principes que l’on a établis.


CHAPITRE II.
Que les esprits animaux vont d’ordinaire dans les traces des idées qui nous sont les plus familières, ce qui fait qu’on ne juge point sainement des choses.


Je crois avoir suffisamment expliqué dans les chapitres précédents les divers changements qui se rencontrent dans les esprits animaux, et dans la constitution des fibres du cerveau, selon les différents âges. Ainsi, pourvu qu’on médite un peu ce que j’en ai dit, on aura bientôt une connaissance assez distincte de l’imagination et des causes physiques les plus ordinaires des différences que l’on remarque entre les esprits ; puisque tous les changements qui arrivent à l’imagination et à l’esprit, ne sont que des suites de ceux qui se rencontrent dans les esprits animaux et dans les fibres dont le cerveau est composé.