Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/170

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zaine de symptômes, dont il y en aura beaucoup de communs à d’autres maladies ; cela n'importe. S’il arrive qu’un malade ait quelqu'un de ces symptômes, il sera malade du scorbut ; et on ne pensera pas seulement aux autres maladies qui ont les mêmes symptômes. On s’attendra que tous les accidents qui sont arrivés à ceux qu’on a vus malades du scorbut, lui arriveront aussi. On lui donnera les mêmes médecines, et on sera surpris de ce qu’elles n’auront pas le même effet qu’on a vu dans les autres.

Un auteur s’applique à un genre d’étude, les traces du sujet de son occupation s’impriment si profondément, et rayonnent si vivement dans tout son cerveau, qu’elles confondent et qu’elles effacent quelquefois les traces de choses même fort différentes. Il y en a eu un, par exemple, qui a fait plusieurs volumes sur la croix : cela lui a fait voir des croix partout ; et c’est avec raison que le Père Morin le raille de ce qu’il croyait qu’une médaille représentait une croix, quoiqu’elle représentaât tout autre chose. C’est par un semblable tour d’imagination, que Gilbert, et plusieurs autres, après avoir étudié l’aimant, et admiré ses propriétés, ont voulu rapporter à des qualités magnétiques, un très-grand nombre d’effets naturels, qui n’y ont pas le moindre rapport.

Les exemples qu’on vient d’apporter suffisent pour prouver que cette grande facilité, qu’a l’imagination à se représenter les objets qui lui sont familiers, et la difficulté qu’elle éprouve à imaginer ceux qui lui sont nouveaux, fait que les hommes se forment presque toujours des idées, qu’on peut appeler mixtes et impures ; et que l’esprit ne juge des choses que par rapport à soi-même et à ses premières pensées. Ainsi, les différentes passions des hommes, leurs inclinations, leurs conditions, leurs emplois, leurs qualités, leurs études, enfin toutes leurs différentes manières de vivre, mettant de fort grandes différences dans leurs idées, cela les fait tomber dans un nombre infini d’erreurs. que nous expliquerons dans la suite. Et c’est ce qui a fait dire au chancelier Bacon ces paroles fort judicieuses : Omnes perceptiones tam sensus quam mentis sunt ex analogia hominis, non ex analogía universi ; estque intellectus humanus instar speculi inœqualis ad radios rerum qui suam naturam naturœ rerum immiscet, eamque distorquet, et ínficit.


CHAPITRE III.
I. Que les personnes d’étude sont les plus sujettes à l’erreur. — II. Raisons pour lesquelles on aime mieux suivre l’autorité que de faire usage de son esprit.


I. Les différences qui se trouvent dans les manières de vivre des hommes sont presque infinies. Il y a un très-grand nombre de