Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/189

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le nombre des inventeurs de nouveaux systèmes s’augmente encore beaucoup par ceux qui s’étaient préoccupés de quelque auteur ; parce qu’il arrive souvent que n’ayant rencontré rien de vrai ni de solide dans les opinions des auteurs qu’ils ont lus, ils entrent premièrement dans un grand dégoût et un grand mépris de toutes sortes de livres, et ensuite ils imaginent une opinion vraisemblable qu’ils embrassent de tout leur cœur et dans laquelle ils se fortifient de la manière qu’on vient d’expliquer.

Mais lorsque cette grande ardeur qu’ils ont eue pour leur opinion s’est ralentie ou que le dessein de la faire paraître en public les a obligés à l’examiner avec une attention plus exacte et plus sérieuse, ils en découvrent la fausseté et ils la quittent, mais avec cette condition qu’ils n’en prendront jamais d’autres, et qu’ils condamneront absolument tous ceux qui prétendront avoir découvert quelque vérité. —

II. De sorte que la dernière et la plus dangereuse erreur où tombent plusieurs personnes d’étude, c’est qu’ils prétendent qu’on ne peut rien savoir. Ils ont lu beaucoup de livres anciens et nouveaux où ils n’ont point trouvé la vérité ; ils ont en plusieurs belles pensées qu’ils ont trouvées fausses après les avoir examinées avec plus d’attention. De la ils concluent que tous les hommes leur ressemblent, et que si ceux qui croient avoir découvert quelques vérités y faisaient une réflexion plus sérieuse ils se détromperaient aussi bien qu’eux. Cela leur suffit pour les condamner sans entrer dans un examen plus particulier ; parce que s’ils ne les condamnaient pas, ce serait en quelque manière tomber d’accord qu’ils ont plus d’esprit qu’eux, et cela ne leur parait pas vraisemblable.

Ils regardent donc comme opiniâtres tous ceux qui assurent quelque chose comme certain, et ils ne veulent pas qu’on parle des sciences comme des vérités évidentes desquelles ou ne peut pas raisonnablement douter, mais seulement comme des opinions qu’il est bon de ne pas ignorer. Cependant ces personnes devraient considérer que s’ils ont lu un fort grand nombre de livres, ils ne les ont pas néanmoins lus tous, ou qu’ils ne les ont pas lus avec toute l’attention nécessaire pour les bien comprendre, et que s’ils ont eu beaucoup de belles pensées qu’ils ont trouvées fausses dans la suite, néanmoins ils n’ont pas eu toutes celles qu’on peut avoir, et qu’ainsi il se peut bien faire que d’autres auront mieux rencontré qu’eux. Et il n’est pas nécessaire, absolument parlant, que ces autres aient plus d’esprit qu’eux, si cela les choque, car il subit qu’ils aient été plus heureux. On ne leur fait point de tort quand on dit qu’on suit avec évidence ce qu’ils ignorent, puisqu’on dit en même temps que plusieurs