Page:Malebranche - De la recherche de la vérité.djvu/239

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sente point, qui qu’imagine point, et même qui ne veuille point ; de même qu’il n’est pas possible de concevoir une matière qui ne soit pas étendue, quoiqu’il soit assez facile d’en concevoir une qui ne soit ni terre ni métal, ni carrée ni ronde, et qui même ne soit point en mouvement. Il faut conclure de là que comme il se peut faire qu’il y ait de la matière qui ne soit ni terre ni métal, ni carrée ni ronde, ni même en mouvement, il se peut faire aussi qu’un esprit ne sente ni chaud ni froid, ni joie ni tristesse, n’imagine rien, et même ne veuille rien ; de sorte que toutes ces modifications ne lui sont point essentielles. La pensée toute seule est donc l’essence de l’esprit, ainsi que l’étendue toute seule est l’essence de la matière.

Mais de même que si la matière ou l’étendue était sans mouvement, elle serait entièrement inutile et incapable de cette variété de formes pour laquelle elle est faite, et qu’il n’est pas possible de concevoir qu’un être intelligent fait voulu produire de la sorte ; ainsi, si un esprit ou la pensée était sans volonté, il est clair qu’elle serait tout à fait inutile, puisque cet esprit ne se porterait jamais vers les objets de ces perceptions, et qu’il n’aimerait point le bien, pour lequel il est fait : de sorte qu’il n’est pas possible de concevoir qu’un être intelligent l’ait voulu produire en cet état. Néanmoins, comme le mouvement n’est pas de l’essence de la matière, puisqu’il suppose de l’étendue ; ainsi vouloir n’est pas de l’essence de l’esprit, puisque vouloir suppose la perception.

La pensée toute seule est donc proprement ce qui constitue l’essence de l’esprit, et les différentes manières de penser ; comme sentir et imaginer ne Sont que les modifications dont il est capable, et dont il n’est pas toujours modifié : mais vouloir est une propriété qui l’accompagne toujours, soit qu’il soit uni à un corps ou qu’il en soit séparé ; laquelle cependant ne lui est pas essentielle, puisqu’elle suppose la pensée, et qu’on peut concevoir un esprit sans volonté comme un corps sans mouvement.

Toutefois la puissance de vouloir est inséparable de l’esprit, quoiqu’elle ne lui soit pas essentielle ; comme la capacité d’être mu est inséparable de la matière, quoiqu’elle ne lui soit pas essentielle. Car, de même qu’il n’est pas possible de concevoir une matière qu’on ne puisse mouvoir, aussi n’est-il pas possible de concevoir un esprit qui ne puisse vouloir, ou qui ne soit capable de quelque inclination naturelle. Mais aussi, comme l’on conçoit que la matière peut exister sans aucun mouvement, on concoit de même que l’esprit peut être sans aucune impression de l’auteur du la nature vers le bien, et par conséquent sans volonté ; car la